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sa puissance, que la France, voyant qu’elle ne peut l’ébranler, lui ouvre aujourd’hui les bras et lui offre une alliance profitable à des conditions faciles, libérales, avantageuses[1]. »

Un traité de commerce n’est qu’un compromis entre les intérêts producteurs de deux pays ; les intérêts de consommation n’y interviennent presque jamais comme partie prépondérante. M. Pitt commençait donc par apprécier les rapports dans lesquels se trouvaient les intérêts producteurs de l’Angleterre et de la France. Il établissait cette division arbitraire et fausse, répétée si volontiers depuis par les économistes et les politiques anglais, suivant laquelle la France devrait être uniquement vouée à la spécialité des productions naturelles ou agricoles, tandis que les productions artificielles ou industrielles seraient l’exclusif et inaliénable privilége de l’Angleterre. M. Pitt louait le traité de concilier et de compléter l’une par l’autre ces deux vocations : après avoir tracé un tableau pompeux des richesses dont la France est redevable au climat et à la fertilité du sol, « l’Angleterre, disait-il, n’a pas été ainsi favorisée de la nature ; mais en revanche, grace à sa libre constitution, aux garanties de ses lois, à l’habileté qui a dirigé les desseins de son peuple, à la vigueur qui en a soutenu les entreprises, elle s’est élevée à un très haut degré de grandeur commerciale. Elle a suppléé aux dons du ciel par l’art et par le travail, et s’est mise à même de fournir à ses voisins, en échange de leurs richesses naturelles, tous les produits artificiels qui contribuent au bien-être et à l’agrément de la vie. » M. Pitt avait raison d’attribuer la supériorité industrielle de l’Angleterre à l’activité de son peuple, favorisée par une excellente constitution politique ; mais il se trompait étrangement, les faits l’ont bien prouvé, s’il croyait la France déshéritée à jamais de la richesse industrielle, parce qu’elle n’était pas encore parvenue à conquérir pour ses intérêts la garantie d’institutions libres.

Le régime politique auquel la France était soumise à cette époque permettait aussi à M. Pitt d’apprécier les avantages comparés que les deux pays devaient retirer du traité, avec une franchise qui eût été bien imprudente, si dans le parlement britannique il eût fallu compter alors, comme de nos jours, avec l’opinion publique française. « Il serait ridicule d’imaginer, disait M. Pitt, que les Français voulussent consentir à nous faire des concessions sans aucune idée de retour. Ce traité leur procurera donc des avantages. Cependant

  1. Parliamentary History, t. XXVI, p. 386.