Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/642

Cette page a été validée par deux contributeurs.
636
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’elle occupe dans le monde. Le mot de Napoléon : « les Anglais sont une nation de boutiquiers, » ne serait plus aujourd’hui une injure, grace à notre expérience mûrissante et à ce juste sentiment d’admiration que les grandes choses de tout ordre obtiennent si naturellement de notre caractère national. En effet, la politique qui a formé en Amérique un des plus puissans états de la terre, qui peuple les immensités de l’Océanie, et semble appelée à renouveler le vieux monde asiatique, n’exerce pas apparemment une action médiocre sur les destinées de l’humanité ; quel qu’en soit le mobile, elle n’est certainement pas à mépriser, et en présence des résultats qu’elle a produits, on est forcé de reconnaître qu’avec de l’industrie et du commerce, et, si l’on veut, pour des intérêts de boutique, on peut travailler à des œuvres d’une réelle et durable grandeur. Au point de vue des idées vers lesquelles la portent ses inclinations les plus généreuses, la France a donc raison de s’informer avec une curiosité persévérante des procédés de la politique anglaise.

La partie de la politique britannique sur laquelle, en ce moment surtout, l’attention nous semble devoir se fixer de préférence, est celle que les Anglais désignent ordinairement eux-mêmes sous le nom de politique commerciale, commercial policy. Le mobile de cette politique est tout entier dans un problème économique : maintenir du moins, si on ne peut l’accroître, la production industrielle, et suppléer à l’insuffisance des débouchés existans par l’acquisition de nouveaux marchés consommateurs. Ainsi formulée, la question est simple : il n’en est point dont la solution ait de plus vastes conséquences. Tout y semble lié par une solidarité fatale. Tandis que la politique extérieure et la politique coloniale travaillent à l’extension des débouchés, celle-là au moyen des traités de commerce, celle-ci par la conservation ou la conquête violente de marchés vassaux de la législation douanière de la Grande-Bretagne, au succès de ce double effort sont suspendues les grandes questions sociales et constitutionnelles soulevées par les formidables émotions que les moindres vacillations du commerce excitent au sein des populations manufacturières, comme la prospérité des finances publiques, qui doivent aux contributions dont la richesse commerciale est la source la partie la plus considérable de leurs revenus. Aussi, nation et gouvernement, l’Angleterre est, pour ainsi dire, courbée tout entière sur la tâche toujours plus laborieuse du développement commercial et industriel ; les partis adaptent leurs combinaisons stratégiques aux exigences de cet impérieux intérêt, et livrent sur des questions de tarif ces batailles