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REVUE DES DEUX MONDES.

— Le courage civil ? Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle invention-là ? De mon temps, nous ne connaissions qu’une sorte de courage ; y en a-t-il deux aujourd’hui ?

— La fermeté du citoyen peut n’avoir rien de commun avec l’audace du soldat.

— Propos de peureux ! s’écria le vieillard avec emportement.

— Sachez, monsieur le marquis, dit le député en s’échauffant à son tour, que jamais un sentiment de peur n’a approché de mon ame.

— C’est possible ; mais, à vous entendre, on en douterait, répliqua M. de Pontailly, entraîné malgré lui par la chaleur de la discussion.

— Est-ce pour m’insulter que vous êtes venu chez moi ? s’écria M. Chevassu d’une voix imposante.

— Non, mais c’est pour vous empêcher de faire une sottise.

— Je ne vous reconnais pas le droit de me donner des conseils.

— Je vous en donnerai un cependant…

— Que je me dispenserai d’entendre, dit le député en se levant.

— Allons, Chevassu, reprit le marquis après un instant de silence, calmez-vous; je n’ai pas eu l’intention de vous offenser. Nous sommes deux vieux fous, moi surtout qui, comme votre aîné de quinze ans, devrais vous donner l’exemple. Par malheur, j’ai toujours eu une mauvaise tête, et vous me l’avez échauffée avec votre diable de théorie du courage civil. Qui a jamais entendu parler de pareille chose ? courage civil !

— Il est tout simple qu’un membre de la défunte aristocratie ne comprenne pas ce mot, répondit le député d’un air d’ironie.

— À la bonne heure ; mais il doit m’être permis de ne pas être, à mon âge, au courant des modes du jour. Voyons, mon cher Chevassu, quittez cet air fâché. S’il m’est échappé quelques expressions qui vous aient déplu, je vous en fais mes excuses.

Le député accueillit ces paroles sans se dérider, et il se contenta de s’incliner au lieu de répondre.

— Maintenant, causons amicalement, comme il convient entre frères, continua le marquis sans paraître remarquer l’expression peu fraternelle des traits de son interlocuteur. Vous êtes engoué de Dornier ; mais enfin est-il le seul homme qui puisse vous convenir pour être le mari d’Henriette ? À ce sujet, Mme de Pontailly et moi n’avons-nous pas le droit de vous donner notre avis ? La fortune de votre sœur revient de droit à vos enfans, puisque nous n’en avons pas. Moi-même je suis riche, je n’ai pas de proches héritiers, et Henriette