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UN HOMME SÉRIEUX.

M. de Pontailly avec un sang-froid qui s’écartait étrangement de sa vivacité habituelle.

— Vous savez, reprit le député, que d’accord avec ma sœur j’avais envoyé ma fille chez ma belle-sœur, Mme Grenier ?

— Vous ne m’aviez pas dit un mot de cela ni l’un ni l’autre, répondit le marquis en regardant alternativement son beau-frère et sa femme ; mais peu importe, ce n’est pas le cas de montrer de la susceptibilité. Continuez, Chevassu.

— Croyant Henriette depuis une semaine à Montmorency, il m’a paru convenable d’écrire avant-hier à ma belle-sœur. Plût au ciel que je l’eusse fait plus tôt ! mais le travail dont je suis écrasé ne me l’a pas permis.

— Ah ! oui, la chambre ! interrompit le vieillard avec un accent moqueur.

— Tout à l’heure, je reçois la réponse de Mme Grenier. Elle ne sait ce que je veux lui dire ; elle n’a pas vu ma fille. Ainsi, depuis dix jours, Henriette a disparu. Qu’est-elle devenue, grand Dieu ?

— C’est un évènement affreux, dit Mme de Pontailly avec une affliction plus ou moins sincère.

— Affreux ! répéta comme un écho le marquis, dont la physionomie semblait moins troublée qu’on n’eût dû s’y attendre d’après l’affection qu’il portait à sa nièce.

— C’est vous, ma sœur, qui êtes responsable de ce malheur, puisque c’est dans votre voiture, avec vous, qu’Henriette est sortie de sa pension. Ne deviez-vous pas, d’après nos conventions, la conduire vous-même jusqu’à Saint-Denis ?

— C’est ce que j’ai fait. À Saint-Denis, j’ai laissé Henriette dans la voiture, et j’ai donné ordre à mon cocher de la mener aussitôt chez Mme Grenier. À son retour, Dominique m’a dit qu’il avait ponctuellement exécuté mes instructions.

— Faites-le venir, le misérable ! s’écria M. Chevassu.

— Tout tourne contre nous ; Dominique est absent.

— Absent !

— Le lendemain même de mon voyage à Saint-Denis, il m’a demandé un congé de quelques jours, sous le prétexte d’aller voir à Rouen son père, dangereusement malade ; il n’est pas encore revenu.

— Le scélérat était du complot, et cette prétendue maladie de son père n’était qu’un prétexte pour prendre la fuite ; c’est un enlèvement, que dis-je ? un rapt ! un rapt abominable !

M. Chevassu continua d’épancher son indignation en gesticulant