— Adieu, messieurs, reprit M. de Pontailly quand Dominique fut remonté sur son siége ; nous prenons à droite ; vous pouvez prendre à gauche ou retourner sur vos pas, à votre choix.
— Quoi ! mon oncle, dit Prosper, nous n’allons pas avec vous ?
— Non, mon neveu, répondit laconiquement le vieillard.
— Et vous emmenez ma sœur ?
— Et j’emmène ta sœur.
— Qu’allons-nous faire, Moréal et moi ?
— Pauvre agneau ! crains-tu que les loups ne te mangent ?
— Mais je croyais que nous reviendrions tous ensemble à Paris.
— Tu t’es trompé. Buvez du lait, louez des ânes, livrez-vous à tous les plaisirs de la forêt de Montmorency ; cela vous est permis, mais il vous est interdit de nous suivre. Je te le défends, Prosper. Moréal, je m’en rapporte à votre discrétion. Allons, Dominique.
La voiture partit, et disparut bientôt aux yeux des deux amis, non moins surpris l’un que l’autre de ce dénouement imprévu.
Plusieurs jours s’étaient écoulés. En revenant chercher la marquise à Saint-Denis, Dominique, interrogé par elle, lui avait répondu, par l’ordre de son maître, qu’il avait conduit Mlle Chevassu chez Mme Grenier, et qu’aucun incident digne d’être rapporté n’était survenu le long de la route. Persuadée que Dornier avait reculé devant l’exécution du projet dont elle lui avait, à demi-mot, suggéré la première idée, Mme de Pontailly avait voué à son ancien favori un mépris presque aussi vif que la haine que lui inspirait Moréal.
— Imposteurs ou lâches, voilà les hommes ! se disait-elle en essayant d’ennoblir par le dédain son désappointement.
Cependant ni l’un ni l’autre des deux rivaux ne reparaissait chez la marquise. Prosper, chose étrange, allait presque tous les jours à l’école de droit ; peut-être, il est vrai, le désir d’éblouir ses condisciples par l’élégance de son tilbury, les belles allures de Tribonien et l’aspect fantasque d’un négrillon qu’il venait d’attacher à son service à titre de groom, était-il la principale cause de cette assiduité inaccoutumée. Étourdissant d’audace et d’aplomb sur le boulevard ou dans l’avenue des Champs-Élysées, l’étudiant changeait de manières chaque fois qu’il venait chez sa tante ; il prenait alors l’air grave et réservé qu’affectent certains diplomates pour persuader aux