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UN HOMME SÉRIEUX.

M. de Pontailly raffole de sa nièce et ne s’épargne pas à la gâter ; moi, au contraire, je pense que la bonté du cœur ne doit pas exclure une sévérité intelligente ; vous voyez que nous ne serions jamais d’accord le marquis et moi. Hier déjà, au sujet d’Henriette, nous avons eu une discussion, et je n’ai pas envie qu’elle se renouvelle.

— Cela est fort embarrassant, dit M. Chevassu en se pressant le front.

— Tout vous embarrasse ; pourquoi votre fille ne demeurerait-elle pas avec vous ?

— Y pensez-vous ? un hôtel garni ! et moi qui suis toujours dehors, excepté à l’heure des repas. Comment voulez-vous d’ailleurs qu’avec les travaux dont je vais être accablé, je puisse m’occuper d’Henriette ? Je suis père, mais je suis député.

— Un autre pensionnat offrirait les mêmes inconvéniens que celui de Mme de Saint-Arnaud, dit Dornier, qui, dans cette discussion de famille, semblait avoir voix délibérative.

— Je suis de cet avis, répondit la marquise ; dans tous ces établissemens, la surveillance est trop divisée pour être bien efficace.

— D’ailleurs, poursuivit le journaliste, M. de Moréal paraît avoir des espions fort habiles : avant vingt-quatre heures, il saurait où l’on a conduit Mlle Henriette, et ce serait à recommencer.

— Mais, dit tout à coup Mme de Pontailly, comme si elle eût été frappée d’une soudaine inspiration, il y a un moyen fort simple, et il est étonnant que nous n’y ayons pas songé plus tôt.

— Quel moyen ? demanda le député.

— Votre belle-sœur, Mme Grenier, demeure à Montmorency : qui vous empêche de lui confier pour quelque temps votre fille ?

M. Chevassu hocha la tête en homme qui trouve à ce qu’on lui propose plus d’une objection.

— Depuis la mort de ma femme, répondit-il, j’ai conservé peu de relations avec ma belle-sœur. Vous savez qu’elle est confite en dévotion et ne voit que par les yeux de son confesseur. Depuis mon arrivée, je ne suis pas même allé la voir.

— Qu’importe ? elle est riche, elle a deux filles, et Henriette ne saurait être nulle part mieux que chez elle ; c’est sa tante, après tout. Si vous m’en croyez, vous n’hésiterez pas un instant, et dès demain vous conduirez votre fille chez Mme Grenier.

— Demain, jour de l’ouverture des chambres ! se récria le député.

— Après-demain alors.

— Ni demain, ni après, ni plus tard. Il m’est impossible de man-