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POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

inspirations spiritualistes de la morale chrétienne. Chose étrange néanmoins, ce paganisme d’imagination d’une part, de l’autre, cette doctrine énergiquement matérialiste qui est répandue dans tout le poème de Jean de Meun et qu’il a concentrée dans la charte de Nature, n’excluent pas des morceaux très édifians sur les mérites de Jésus-Christ et les joies du paradis, et c’est précisément dans le discours de Nature, dans le sermon de son cynique prêtre Genius, qu’on les trouve. C’est au moment de proclamer systématiquement l’amour physique, but suprême de la vie, que Jean de Meun se fait l’interprète et l’apôtre de la religion qui mortifie les sens.

Un autre mélange non moins frappant du sacré et du profane se montre dans l’emploi de termes consacrés par l’église à ses sacremens et à ses mystères appliqués ici à des objets de nature très différente. L’Amour, la Nature, Genius, son prêtre, prononcent l’excommunication sur ceux qui se refusent à les servir. Amour donne à l’Amant pour pénitence :

Qu’en bien aimer soit son penser.

Il jure par sainte Vénus, sa mère. Cette alliance d’idées si disparates se rencontre partout au moyen-âge, elle est de deux sortes. Tantôt, comme il arrive dans le Roman de la Rose, au sein d’une composition toute profane surgit une réflexion dévote, des termes consacrés par l’église sont appliqués à des actions et à des sentimens que l’église réprouve ; tantôt, au contraire, dans une œuvre sérieuse et religieuse viennent se jeter, comme à l’étourdie, des détails enjoués ou licencieux. C’est ce qui avait lieu souvent dans les sermons du moyen-âge, et ce qui s’est conservé au XVe dans les bouffonneries des sermons macaroniques. La même confusion se produisit dans l’art ; les représentations les plus scandaleuses se voient, comme on sait, sur les vitraux des cathédrales, se cachent à demi dans les ornemens des chapiteaux ou des stalles, et parfois décorent avec effronterie les marges ou les initiales des missels. Une telle fusion du divin et du terrestre peut s’expliquer de deux manières, ou par la naïveté, ou par une intention malicieuse et satirique. Ce peut être inconséquence irréfléchie ou intention railleuse, profanation innocente ou parodie volontaire.

Plus on avance vers l’époque où les croyances affaiblies font place au doute, où la liberté et l’insolence de l’esprit remplacent la soumission aveugle et la foi absolue, plus le dessein des auteurs qui se permettent ces associations singulières est suspect ; il l’est