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dant cette hardiesse ne doit pas trop surprendre quand on voit des dévots narrateurs de légendes attaquer avec plus d’emportement encore, non-seulement les moines, mais l’église même et son chef suprême, le pape. Les poésies des troubadours, les fabliaux, l’épopée satirique de Renart, donnent le même spectacle, il faut s’accoutumer à voir cette humeur frondeuse se montrer dans les productions littéraires du moyen-âge, et donner naissance, on doit le reconnaître, à ce que notre vieille poésie offre de plus naturel et de plus heureux pour le tour et pour l’expression. Du reste, ce tort et ce mérite ne lui appartiennent pas exclusivement. L’Italie a Boccace et les autres nouvellistes ; l’Angleterre a Chaucer, qui, sous l’inspiration de la réforme tentée par Wiclef, attaque avec une ironie systématique les frères quêteurs, les nonnes et les porteurs d’indulgences. L’Allemagne a les lazzis de Nithart et du prêtre Amis, qui, tout en se jouant, mettaient en branle la grosse cloche qui, agitée par Luther, devait sonner le tocsin de la réforme. L’Espagne elle-même, terre de dévotion et de monachisme s’il en fut, a l’archiprêtre de Hita, auteur d’un poème pieux sur les miracles de Notre-Dame, les joies de la Vierge, et qui n’en disait pas moins : « Si tu as de l’argent, tu auras raison du pape, tu achèteras le paradis, tu gagneras le salut ; avec beaucoup d’argent, les bénédictions abondent. J’ai vu dans la cour de Rome, où est le saint père, que tous portaient grande révérence à l’argent. » Mais ces traits, il faut le dire, sont plus rares dans les poésies espagnoles du moyen-âge que partout ailleurs, ce qu’à défaut d’autres motifs la présence de l’inquisition suffirait pour expliquer.

L’amour chevaleresque, le culte des dames était, comme je l’ai dit, la seconde religion du moyen-âge, et cette orthodoxie eut ses dissidens aussi bien que la première. Jean de Meun, on l’a vu, se signala d’une façon toute particulière dans ce genre d’hérésie, qui n’est pas non plus inconnu aux autres littératures du moyen-âge, et qui marque partout la décadence de cette civilisation dont la chevalerie fut l’ame. À la fin du XIIIe siècle, le beau temps de la galanterie chevaleresque était passé. La poésie, fidèle écho des sentimens et des mœurs, après avoir célébré les femmes lorsqu’elles avaient l’empire, les insultait alors comme une puissance tombée.

Ce qui a dû sembler plus nouveau chez Jean de Meun que la satire, c’est, dans quelques passages, l’énergique expression d’une pensée sérieuse. Ce qu’on peut appeler la poésie philosophique existe déjà dans cette œuvre incohérente et bigarrée de contrastes. Outre les