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POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

reprenant l’allégorie du jardin d’amour imaginée par Guillaume de Lorris, insiste de la manière la plus édifiante sur la supériorité du jardin céleste, où coule, non pas la fontaine de Narcisse qui enivre les ames, mais la fontaine d’eau vive qui les fortifie, fontaine mystique une et triple qui sourd d’elle-même, et qui de ses flots divins arrose l’olivier du salut.

Mais, chose incroyable, cet accès de mysticisme ne fait pas perdre à Genius le but de son sermon, car, dit-il, pour mériter ce paradis,

Pensez de Nature honorer,
Servez-la par bien laborer (travailler).

À ce conseil d’une moralité très équivoque, ou plutôt qui dans sa bouche ne l’est guère, il joint bien quelques préceptes d’humaine vertu, comme de ne pas voler, de ne pas tuer, d’être loyal et miséricordieux ; mais de la foi et des vertus exclusivement chrétiennes, pas un mot. Il n’en promet pas moins les joies du paradis pour récompense à ceux qui suivront ses enseignemens, dont on a vu quel était l’objet. La doctrine prêchée par Genius est du goût des nouveaux croisés, qui, empressés de mériter l’indulgence en donnant l’assaut à la tour où Bel-Accueil est renfermé, s’écrient : Amen ! Amen ! Vénus s’élance à leur tête, Honte et Peur veulent l’arrêter, mais ses flammes et ses flèches mettent l’ennemi en déroute. Courtoisie, Pitié et Franchise entrent par la brèche, et Courtoisie adresse à Bel-Accueil en faveur de l’Amant un discours qui se termine par ce vers :

Octroyez-lui la Rose en don.

Bel-Accueil consent. Dès ce moment, l’allégorie devient à la fois si transparente et si grossière, que je me dispense de la suivre. L’auteur termine son poème et son rêve en disant :

Ainsi j’eus la Rose vermeille,
Alors fut jour et je m’éveille.

Tel est le Roman de la Rose. Je crois avoir le premier montré toute la portée de cet ouvrage célèbre. Je vais revenir rapidement sur ses principaux caractères, que j’ai dû me borner à signaler en passant, pour ne pas interrompre la suite des incidens. Je m’occupe surtout de la seconde partie, beaucoup plus curieuse que l’autre, et qui forme les quatre cinquièmes de l’ouvrage.

La première chose qui a dû frapper le lecteur, c’est la verve et la hardiesse satirique avec laquelle Jean de Meun attaque les deux objets de la religion du moyen-âge, les prêtres et les femmes. Cepen-