Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/580

Cette page a été validée par deux contributeurs.
574
REVUE DES DEUX MONDES.

savans, sont plus nobles que les princes et les rois. On sent à cette fierté que l’âge des lettres et des lettrés approche.

Nature, poursuivant son discours, dit encore une fois : « Je ne me plains pas des élémens, des plantes et des animaux, tous m’obéissent, tous exécutent docilement mes ordres et mes lois. L’homme seul, que je fais naître à l’image de Dieu, qui est la fin de tout mon labeur, à qui je donne l’existence comme aux pierres, la vie comme aux plantes, le sentiment comme aux animaux, et qui a l’intelligence en commun avec les anges, l’homme me désobéit et m’outrage. » Ce mécontentement de la Nature était la cause de la douleur qu’elle voulait confier à Genius, à qui elle a incidemment parlé de tant d’autres choses. Le reproche qu’elle adresse aux hommes, c’est de lui refuser le tribut qu’ils lui doivent comme chargée de la conservation de la perpétuité des espèces, et sa colère est particulièrement tournée contre les puissances ennemies de l’Amant, et qui s’opposent à son entreprise. C’est par ce singulier détour que nous rentrons dans le sujet du poème, qui désormais sera traité d’un point de vue tout physique, ce qui me forcera d’abréger singulièrement mon analyse.

Nature envoie en toute hâte son confesseur Genius vers l’ost du dieu d’Amour, en le chargeant d’excommunier ceux qui s’opposent à ses lois, et d’absoudre ceux qui s’y conforment et qui

Fortement à ce s’étudient
Que leur lignage multiplient ;

l’autorisant à leur donner indulgence plénière pour tout ce qu’ils auront pu faire après qu’ils se seront bien et dûment confessés ; en outre, elle lui commande de publier l’ordonnance qu’elle lui remet scellée de son sceau. Genius est à peine arrivé au camp que le dieu d’Amour lui met une chasuble, lui donne anneau, crosse et mitre. Genius déploie la charte de Nature et la lit aux barons assemblés.

Cette charte est un sermon fort étrange, et dont le texte pourrait être ce verset de l’Écriture : Crescite et multiplicamini. Le fond en est très profane, mais le sacré s’y trouve inconcevablement mêlé. Au milieu des exhortations pleines d’une verve plus qu’érotique vient bizarrement se placer une invitation pressante à mériter le ciel et à éviter l’enfer, et une description, qui n’est pas sans fraîcheur et sans poésie, du paradis, où les brebis blanches paissent parmi des fleurs éternellement nouvelles, et où reluit comme au matin, sur les herbettes verdoyantes, une rosée qui ne sèche jamais. L’auteur,