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POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

serait tenté de voir là une idée vague du télescope, mais il n’est question, je pense, que de miroirs grossissans, comme il est question plus loin des miroirs qui diminuent la grandeur des corps. Il parle aussi de ceux qui font apparaître des objets entre l’œil et le miroir, jeux d’optique produits aujourd’hui dans les cabinets de physique et dans les illusions de la fantasmagorie, mais qu’il est intéressant de voir connus d’un poète français au XIIIe siècle, et expliqués dès-lors à peu près comme ils doivent l’être par les diversités des angles. Jean de Meun ne montre pas moins de sens en attribuant à des causes naturelles les visions de ceux qui, par grande dévotion et contemplation trop profonde, font apparaître en leur pensée les choses qu’ils ont dans l’esprit aussi bien que les effets extraordinaires du somnambulisme naturel qu’il décrit très bien ; les comètes dont il traite après les astres, les vents, les nues, l’arc-en-ciel, les comètes lui fournissent l’occasion de s’exprimer avec une grande liberté d’esprit sur le néant de la noblesse de race, quand elle n’est pas appuyée sur la noblesse des sentimens et des habitudes. Les comètes, dit-il, combattant un préjugé qui lui a long-temps survécu, ne répandent pas les influences de leurs rayons sur les rois plutôt que sur les pauvres ;

Et les princes ne sont pas dignes
Que les corps du ciel donnent signes
De leur mort plus que d’un autre homme,
Car leur corps ne vaut une pomme
Plus que le corps d’un charretier
Ou d’un clerc ou d’un écuyer.
Je les fais tous semblables être
Ainsi qu’il paraît à leur naître (naissance).
Par moi naissent pareils et nuds,
Forts et faibles, gros et menus
Tous les mets en égalité.

Et poursuivant sur ce ton, notre poète dit, après Juvenal et avant Boileau, nul n’est noble s’il n’est vertueux :

Nul n’est vilain fors par ses vices,
Noblesse vient de bon courage (de bon cœur),
Car gentillesse de lignage (noblesse)
N’est pas gentillesse qui vaille
Si la bonté de cœur y faille.

Jean de Meun n’hésite pas à dire que les clercs, c’est-à-dire les