Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/577

Cette page a été validée par deux contributeurs.
571
POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

entre les diverses portions de l’astre, et allègue à ce propos le fait de la réflexion des rayons lumineux lorsque, derrière le verre transparent qui les laisse passer, on place un corps opaque qui les retient ; le tout en termes que ne désavouerait pas la physique moderne. La lune et les étoiles reçoivent leur clarté du soleil ; leurs accords mélodieux sont le principe de toute harmonie ; sous leurs influences s’opère la concorde des élémens, la formation et le développement des êtres.

L’influence des astres conduit naturellement à la question de la prédestination et de la prescience divine ; ce que Nature dit sur ce sujet constitue un traité en forme. Au moyen-âge, on ne trouve pas fréquemment de pareilles matières débattues en français. Il est curieux de voir la langue du Roman de la Rose lutter contre des difficultés d’exposition que l’auteur confesse lui-même. Il offre le très rare exemple d’un laïque examinant un problème théologique. Selon lui, la prédestination et la prescience s’entresouffrent bien ensemble. Mais comment a lieu cet accord ? Si tout est nécessairement prédéterminé, la volonté est esclave, il n’y a plus ni bien ni mal moral ; on ne peut donc adopter l’opinion de ceux qui disent que, par cela qu’une chose est possible, elle est nécessaire. Soutiendra-t-on que les choses n’arrivent pas parce que Dieu les a prévues, mais qu’il les a prévues parce qu’elles devaient arriver ? C’est affaiblir la prescience de Dieu que de faire ainsi dépendre d’autrui sa connaissance :

La raison ne saurait comprendre
Que l’on puisse à Dieu rien apprendre.

C’est rabaisser encore plus la grandeur de Dieu que de dire qu’il sait seulement d’un fait futur qu’il sera ou ne sera pas. Dieu sait nécessairement tout ce qui sera, mais les faits ne sont point parce que Dieu les sait d’avance, et ce n’est pas parce qu’ils sont qu’il les a prévus. De même que nous ne déterminons ni n’empêchons une action parce que nous savons qu’elle a eu lieu, de même que nous ne la déterminerions ni ne l’empêcherions si nous savions d’avance qu’elle aura lieu, la connaissance qu’a Dieu des décisions futures du libre arbitre ne le contraint point.

Je ne prétends pas que Jean de Meun ait résolu un problème qui semble insoluble à la raison humaine, car la toute-puissance de Dieu, qui est unie à sa prescience, rend vaine toute comparaison avec notre connaissance. Si nous savons qu’un homme va se jeter dans un précipice, et s’il est loin de nous, notre connaissance ne peut influer sur son acte ; mais, si nous le tenions par la main, comment