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REVUE DES DEUX MONDES.

Il en fit une fontaine
Toujours coulant et toujours pleine,
De qui toute beauté dérive ;
Mais nul n’en sait ni fond ni rive.

Ces idées ont une grandeur qui étonne. L’expression large et simple rappelle les beaux vers philosophiques de Dante ; il est rare que Jean de Meun et en général les poètes français du moyen âge s’élèvent jusque-là.

Puis l’auteur a une conception bizarre et hardie : il suppose que Nature va se confesser à son propre prêtre. Ce prêtre, qui se nomme Genius, récite éternellement, devant elle, au lieu d’autre messe, le texte de son livre, qui contient les types des existences passagères. Genius s’assied sur une chaise à côté de son autel ; Nature se met à genoux devant son prêtre et commence son étrange confession. Cette confession est un discours de près de trois mille vers sur la métaphysique, la physique, l’optique, l’astronomie. C’est une petite encyclopédie insérée par Jean de Meun dans son poème allégorique. Mélange incroyable de théologie chrétienne, d’idées platoniciennes, d’argumentations scolastiques, de notions remarquables sur certains points de la physique, et d’opinions sur la société singulières pour le temps, ce morceau est un des plus curieux témoignages de la vigueur intellectuelle et de la science confuse du moyen-âge ; en voici les traits principaux : Dieu, source de tout bien, a créé l’univers, dont la forme préexistait dans sa pensée de toute éternité, d’après un type pris en lui-même par un acte libre de sa volonté bienfaisante. Au commencement, son œuvre était une masse informe et confuse ; il la divisa en parties et l’ordonna par le nombre et la figure. Les substances, selon leur poids, se distribuèrent dans les régions haute, basse, ou moyenne de l’étendue. « Dieu les soumit à mon gouvernement, dit Nature ; je suis sa chambrière, son connétable et son vicaire. Il me confia la chaîne d’or qui enserre les quatre élémens, il me prescrivit de les garder et de continuer les formes ; à eux d’obéir à mes lois. Toutes les créatures s’y assujétissent, hors une seule… Je ne me plains pas du ciel qui tourne sans repos emportant les étoiles dans son cercle poli, je ne me plains pas des planètes qui suivent leurs cours et conservent éternellement leur clarté… »

Ici Jean de Meun se livre à une dissertation sur ce qui peut causer l’inégalité d’éclat qu’on remarque entre les différentes parties de la lune, et qu’aujourd’hui l’on sait être produite par des vallées et des montagnes. Il cherche à l’expliquer par une différence de densité