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au pauvre Amant. Ils accompagnent ce discours de cadeaux et de promesses, et finissent par prier la vieille de remettre à Bel-Accueil, de la part de l’Amant, une couronne de fleurs nouvelles. La vieille le ferait volontiers, n’était la peur qu’elle a de Jalousie et de Mauvaise-Langue. Ils lui apprennent que ce dernier est hors d’état de nuire. Alors elle consent à laisser entrer l’Amant, pourvu que ce soit avec grand mystère. Elle s’en va trouver son captif, lui porte la couronne de fleurs et les respects de l’Amant, dont elle loue la discrétion, le courage et la libéralité. « Prenez, dit-elle, ces fleurs qui flairent mieux que baume. » Bel-Accueil, tout tremblant et tout agité, les voudrait bien prendre, mais ne l’ose faire. Il a peur de Jalousie, qui, si elle voit les fleurs, le tuera. Que ferai-je si elle me demande d’où elles me viennent ?

Réponses aurez plus de vingt,

dit la vieille, qui paraît connaître les ressources de l’esprit féminin. Bel-Accueil prend la couronne de fleurs, la pose sur ses blonds cheveux, se mire et se remire. La vieille, profitant de la complaisance avec laquelle Bel-Accueil contemple sa propre beauté, commence à lui prêcher une étrange doctrine qu’elle a soin de corroborer par l’histoire de sa vie. Cette vieille a été jeune, et lors a mené joyeuse vie ; elle regrette pourtant, comme la Grand’Mère de Béranger, le temps perdu[1] ; mais les regrets n’y font rien,

Mais rien n’y vaut le regretter.

Elle offre à Bel-Accueil de le faire profiter de son expérience. D’abord elle raie des commandemens de l’Amour celui qui prescrit la générosité et celui qui veut qu’on n’aime qu’en un lieu. « Gardez-vous, dit-elle, de donner votre cœur ou de le prêter, mais vendez-le au plus haut prix possible, et chaque jour enchérissez. »

Surtout observez ces deux points :
À donner ayez clos les poings,
Et à prendre les mains ouvertes.

Après avoir prêché à Bel-Accueil les avantages qu’on trouve à aimer

  1. Quel dolor au cuer (cœur) me tenoit
    Quand en pensant me sovenoit
    Des biaux dits, des doux aisiers (contentemens),
    Des doux déduits, des doux besiers,
    Et des très douces acolées,
    Qui s’en ierent (sont) sitôt volées (envolées),
    Volées, voire (vraiment), et sans retor.