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UN HOMME SÉRIEUX.

— Je vous crois, parbleu ! Prosper est un entêté qui ne démordra pas de sa résolution, quelque extravagante qu’elle puisse être, et je comprends que s’il vous provoque…

— Il l’a fait déjà.

— Hier ?

— Deux fois : le matin à son arrivée, et dans votre salon.

— Comment ai-je fait pour ne pas m’en apercevoir ? Vous avez raison, la position se complique.

— C’est pour la simplifier que j’ai ce matin une rencontre avec M. Dornier.

— Où ?

— Au bois de Vincennes.

— À quelle heure ?

— À huit heures.

— Il est sept heures passées, dit le marquis en regardant la pendule ; envoyez chercher une voiture et partons.

— Comment ! monsieur, vous voulez…

— Être votre témoin, comme j’ai été deux fois celui de votre père.

— C’est un honneur que je voudrais avoir mérité… mais… j’attends un de mes amis.

— Écrivez-lui un mot que vous laisserez chez le concierge. Dépêchez-vous ; nous devrions être en route.

Moins d’une heure après cet entretien, M. de Pontailly et Moréal descendaient de voiture au lieu désigné pour le rendez-vous. Pour une raison connue du lecteur, ils n’y trouvèrent personne. Ils attendirent plus d’une heure, d’abord avec patience, ensuite avec étonnement. Enfin la vivacité du marquis ne lui permit pas de se taire plus long-temps.

— Il est neuf heures et demie, dit-il en tirant sa montre ; ce drôle se moque de vous. Je l’ai toujours soupçonné de n’être pas franc du collier.

— Quelque empêchement peut-être, dit le vicomte.

— Le duel n’admet pas plus d’empêchement que les dettes de jeu n’admettent de délai. Notre homme ne viendra pas parce qu’il a peur, voilà tout ; mais je connais son adresse : retournons à Paris, et prenons-le d’assaut dans son domicile ; il faudra bien qu’il m’explique sa conduite, car c’est moi qui prends l’affaire maintenant. Un poltron de cette espèce prétendre à la main de ma nièce ! Je serai, parbleu ! ravi de lui dire à ce sujet ma manière de voir.

De retour à Paris, le marquis et le vicomte se rendirent aussitôt