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REVUE DES DEUX MONDES.

La hardiesse tant vantée du vers de Voltaire :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux,

doit s’humilier devant celle de Jean de Meun. Au fond c’est la même idée.

Par la bouche du confident, le poète continue à donner aux hommes des conseils sur la manière de s’assurer le cœur des femmes, tous dictés par le même esprit satirique ; il affirme, il est vrai, ne point parler des bonnes, mais il ajoute qu’il n’en a pas encore trouvé une. L’immense discours d’Ami se termine enfin, et l’Amant se met en campagne pour aller pratiquer le conseil qu’on lui a donné de s’aider de Richesse ; Richesse le reçoit d’un air superbe, comme une dame accoutumée à commander, et lui fait une peinture du château de Folle-Largesse et de ceux qui l’habitent, que termine assez spirituellement cette pensée : Je les y convoie joyeusement, dit Richesse ;

Mais Pauvreté les reconvoie
Froide, tremblante et toute nue ;
J’ai l’entrée, et elle a l’issue.

Richesse fait aussi une peinture affreuse de Pauvreté, et de Faim, sa chambrière, qui éveille Larcin, son fils, quand il sommeille, et l’excite au mal. C’est le male suada fames de Virgile traduit par une allégorie qui ne manque pas de vigueur. L’Amant, qui est brouillé avec Richesse, ne peut rien obtenir d’elle, et il est de nouveau prêt à se désespérer, quand Amour vient lui rendre courage. Mais il commence par tancer son vassal, qui a prêté l’oreille à Raison, son ennemie. L’Amant se hâte de promettre qu’il ne l’écoutera plus ; Amour, content de lui, promet d’entreprendre le siége du château où Bel-Accueil est enfermé. En effet,

Toute sa baronnie il mande,
Les uns prie, aux autres commande.

Distinction qui devait trouver son application dans les mœurs féodales.

Avec les personnages obligés qui accompagnent toujours Amour, comme Oiseuse, Noblesse-de-Cœur, Franchise, Largesse, Courtoisie, paraissent ici quelques personnages nouveaux, Bien-Céler, Abstinence-Contrainte, Faux-Semblant, qui les amène, et Barat (le Dol), qui eut pour mère Hypocrisie. Ces personnages sont odieux à l’auteur, et Amour a de la peine à les souffrir en sa présence. Ils sont entièrement étrangers aux idées de galanterie sur lesquelles roulait la donnée primitive du poème ; mais Jean de Meun, qui se soucie peu