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POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

gue suite d’antithèses sur l’amour et conclut par ces deux vers d’une concision énergique :

Si tu le suis, il te suivra,
Si tu le fuis, il te fuira.

L’Amant, au lieu de défendre Amour attaqué par Raison, se borne à prier celle-ci de le définir, et Raison répond par une dissertation sur toutes les sortes d’amour. Évidemment Jean de Meun ne laisse accuser l’Amour que parce qu’il faut bien suivre la donnée du poème ; attendez un peu, il montrera plus que de l’indulgence à cet égard. Du reste, à ce propos, il parle de l’amitié, de la fortune, des vers dorés de Pythagore, des marchands, des médecins, des mauvais prédicateurs, des avares, et paraît beaucoup moins occupé d’attaquer le dieu Amour que de conseiller la modération des désirs et une sagesse pratique dans le goût d’Horace. La Raison est ici le bon sens profane et positif exposant des maximes sensées, qui n’ont rien à faire ni avec la théologie d’une part, ni de l’autre avec la morale chevaleresque. Il y a des vers spirituels sur l’argent, sur Pécune, qui se venge

Des serfs qui la tiennent enclose ;
En paix se tient et se repose,
Et fait tous les méchans veiller
Et soucier et travailler.

Il y a des vers hardis sur le roi, qui n’est pas le maître de ses hommes, mais plutôt est leur, qui leur appartient :

…… Car, quand ils voudront,
Leur aide au roi retireront ;
Et le roi tout seul restera
Sitôt que le peuple voudra.

Raison revient à parler de l’amour, mais cet amour n’est pas le dieu de Guillaume de Lorris ; c’est l’amour universel, l’amour abstrait. Il faut l’entendre un peu largement, dit Raison ; et, usant des termes de l’école, il faut, dit-elle, aimer en généralité et laisser spécialité. Une véritable discussion scolastique s’engage entre Raison et l’Amant, devenu dialecticien. — Lequel vaut mieux, dit-il, de cet amour dont vous parlez ou de la justice ?

RAISON.

La bonne amour mieux vaut.