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REVUE DES DEUX MONDES.

— Quand vous aurez passé quinze jours en prison, vous changerez de langage.

— Bah ! quinze jours… et quand même ; Béranger et tant d’autres n’ont-ils pas été en prison ? Savez-vous qu’une petite captivité pour un motif politique n’est pas du tout à dédaigner ? Cela pose un homme.

Nous laisserons les deux interlocuteurs, l’un fort mécontent, l’autre presque consolé, enfermés dans la cage de pierre de la porte Saint-Denis.

Le lendemain à sept heures du matin, le vicomte de Moréal, déjà complètement habillé, se promenait dans sa chambre lorsqu’on frappa bruyamment à la porte.

— Voici Cendrecourt, se dit-il en pensant à un de ses amis qu’il avait mis en réquisition la veille pour être son témoin.

La porte ouverte, au lieu du jeune homme qu’il attendait, le vicomte vit entrer M. de Pontailly. Le marquis était vêtu d’une ample redingote bleue militairement boutonnée jusqu’au cou ; il avait remplacé son parapluie par un gros jonc à pomme d’or, et son chapeau à larges bords était penché sur l’oreille droite encore plus que de coutume.

— Ah ! mon garçon, je vous y prends, dit le vieillard, qui d’un regard avait exploré la chambre ; est-ce pour tirer des pigeons que vous avez préparé cette boîte de pistolets que je vois sur votre bureau ? J’avais bien deviné hier, en voyant de quel air vous dialoguiez avec Dornier, qu’aujourd’hui nous aurions une petite escarmouche. Aussi, vous voyez que j’ai été matinal. Allons, contez-moi l’affaire. Vous savez que vous m’avez promis de vous laisser diriger par moi.

— Je ne trouverai jamais un meilleur guide, répondit le vicomte.

— Ainsi, vous devez vous battre ? reprit le marquis d’un air mécontent.

— Oui ; mais ne me blâmez pas avant de m’avoir entendu. Si je me bats aujourd’hui avec M. Dornier, c’est pour ne pas me battre demain avec votre neveu.

— Quoi ! Prosper aussi !

— Prosper, que j’aimerais beaucoup s’il voulait me le permettre, a mis dans sa tête de marier sa sœur à M. Dornier, et, comme je le gêne, il a imaginé un infaillible moyen de se débarrasser de moi : c’est de me percer le flanc. Je vous avouerai, monsieur le marquis, que je me soucie médiocrement de lui donner cette petite satisfaction.