Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/555

Cette page a été validée par deux contributeurs.
549
POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

Amour alors le réconforte en lui annonçant les biens qui solacent ceux qui le servent ; c’est Espérance courtoise, c’est Doux-Penser, Doux-Parler et Doux-Regard. Au sujet de Doux-Parler, le dieu cite deux jolis vers d’une chanson, composée, dit-il, par une dame qui savait d’amour :

Vrai Dieu, celui-là m’a guérie,
Qui m’en parle, quoi qu’il m’en die.

Ce quoi qu’il m’en die est d’une assez grande délicatesse, et n’a d’autre inconvénient que de faire penser au charmant quoi qu’on en die de Trissotin. J’espère cependant qu’on ne confondra pas mon admiration avec celle de Bélise et d’Araminthe.

Ces instructions données, Amour disparaît, et l’Amant recommence à convoiter le bouton défendu par la haie épineuse. Comme il se pourpensait s’il essaierait de la franchir, il vit venir vers lui un beau varlet (jeune homme), on l’appelait Bel-Accueil, et il était fils de Courtoisie. Son nom n’est point trompeur, car il invite l’Amant à franchir la haie pour sentir l’odeur des roses, l’engageant à se garder de folie, et à cette condition lui offrant ses services ; mais un autre personnage moins gracieux déconforte le pauvre Amant. C’est Dangier, dont le nom exprime à la fois l’idée de péril et d’obstacle. Dangier était le gardien, le cerbère des roses, et il avait avec lui Male-Bouche (mauvaise langue), Honte et Peur ; la généalogie de Honte est ingénieuse, elle a Raison pour mère, et pour père Méfait ; Raison n’a jamais laissé Méfait approcher d’elle, mais elle a conçu Honte par la seule vue du monstre. Chasteté ayant fort à faire pour se défendre de Vénus,

Qui nuit et jour souvent lui emble (dérobe)
Boutons et roses tout ensemble,

demanda à sa mère de lui prêter Honte pour les défendre, et lui adjoignit Jalousie et Peur.

Cependant l’Amant, encouragé par Bel-Accueil, raconte les terribles blessures qu’Amour lui a faites et son grand désir de s’emparer du bouton de rose ; Bel-Accueil l’écoute gracieusement, lui donne même une feuille du rosier, mais n’a garde de lui accorder ce qu’il demande. Tout à coup Dangier s’élance, pareil à ces géans hideux qui, dans les romans de chevalerie, veillent à la garde d’une belle. Il tance rudement Bel-Accueil, qui s’enfuit, puis chasse l’Amant et le repousse en dehors de la haie. Celui-ci commence à