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Chacun de ces arcs avait cinq flèches[1]. C’étaient d’une part Doux-Regard, Beauté, Courtoisie, Franchise, etc., de l’autre, Orgueil, Honte, Vilenie, Désespérance et Nouveau-Penser, plus dangereux en amour que tout le reste. Lorris revient ensuite à la troupe dansante, il y découvre dame Beauté :

Tendre eut la chair comme rosée,
Simple fut comme une épousée
Et blanche comme fleur de lis.

À côté de Beauté sont Richesse et Largesse

…… Qui n’avoit joie de rien
Comme de pouvoir dire : Tiens !

Franchise, Courtoisie, Jeunesse, et chacune a près d’elle son ami. L’auteur, charmé de tout ce qu’il voyait, s’en allait gaiement par le verger, quand Amour l’aperçoit, ordonne à Doux-Regard de tendre son arc, de lui donner ses cinq bonnes flèches, et il se met à suivre l’arc au poing le pauvre Lorris, qui prend la fuite, mais que son trouble n’empêche pas de décrire en plusieurs pages les beautés du verger. Toujours fuyant, il rencontre sous ses pas la fontaine où mourut le beau Narcisse, ce qui lui donne occasion de raconter l’histoire d’Écho, une haute dame dont Narcissus causa la mort[2], puis il avise près de la fontaine d’amour des rosiers chargés de roses. Un bouton le tente par sa fraîcheur et son parfum ; il étend la main pour le saisir. À ce moment, le dieu Amour, qui l’épiait toujours, lui décoche une flèche qui entre par l’œil et va au cœur. Le blessé ne peut retirer de son cœur la pointe acérée, qui avait nom Beauté. Cependant il s’avance de nouveau vers le bouton, dont la vue et le parfum sans plus allégeaient sa douleur ; mais Amour lui a bientôt lancé successivement quatre autres flèches.

Après avoir épuisé son carquois, Amour s’élance vers son ennemi, accablé de ses coups, et s’écrie : « Vassal, tu es pris ; rends-toi. » L’Amant se rend volontiers à un tel vainqueur. Il fait plus, il se voue à son service corps et ame ; il devient son homme lige et lui promet

  1. Cama, le Cupidon de la mythologie indienne, a aussi cinq flèches, qui représentent les cinq sens.
  2. Cette fontaine d’Amour a des propriétés merveilleuses. Au fond de l’eau sont placés deux cristaux qui embellissent de mille reflets tous les alentours. Qui se regarde dans ce miroir ne peut se défendre d’aimer. Il y a peut-être là une vague notion du prisme et la première idée d’une métaphore bien souvent répétée depuis, le prisme de l’illusion.