Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/551

Cette page a été validée par deux contributeurs.
545
POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

que Déduit est là s’ébattant au chant des rossignols, a grande envie d’entrer dans le délicieux verger ; il y entre en effet, et se croit dans le paradis terrestre. Mille oiseaux y chantent ; on dirait des voix d’anges ou de sirènes. Mais sa joie est encore augmentée quand il voit Déduit et sa gent baller mignotement[1]. C’est Liesse qui menait la danse. Courtoisie invite le poète à pénétrer dans le jardin. Au lieu de s’empresser de céder à cette invitation, il se met à décrire les personnages du ballet, car il a la rage de décrire et ne tient que trop ce qu’il a promis.

Tout ensemble dire ne puis,
Mais tout vous conterai par ordre
Que l’on n’y sache que remordre.

Déduit et Liesse formaient un couple charmant. Tous deux bien s’entraînaient, car il était beau, elle était belle,

Bien ressemblait rose nouvelle
À sa couleur .....
Elle eut la bouche petitete
Et pour baiser son ami prête.

Enfin le poète aperçoit le dieu Amour portant une robe ouvrée de fleurs ; sur sa tête était une couronne de rose dont les rossignols qui voletaient à l’entour faisaient tomber les feuilles. Auprès du dieu, qui est représenté comme un chevalier, un seigneur féodal, était son écuyer Doux-Regard portant les deux arcs de l’Amour, car il en a deux, et Voltaire n’a pas les honneurs de l’invention pour ce vers qui commence une tirade assez précieuse de Nanine :

Vous le savez, l’amour a deux carquois.

    dans Occident. Les jardins de roses sont célèbres en Orient. Il en est souvent question dans la poésie persane. Jardin de Roses (Gulistan) est le nom d’un recueil poétique de Sadi. M. Reinaud, dans sa docte description des monumens arabes, persans et turcs du cabinet de M. le duc de Blacas, parle d’un poème arabe dont le sujet est fort analogue à celui du Roman de la Rose (t. II, p. 472). Le Rosen-Garten (jardin des roses) de la poésie germanique, où combattent Dietrich et ses héros, n’aurait-il pas aussi été apporté de l’Orient, en même temps que par les croisades en venaient des ornemens pour l’architecture du moyen-âge ?

  1. L’auteur leur fait chanter des notes lorraines :

    Parce qu’an (on) set (sait) en Loheregne (Lorraine)
    Plus cointes notes (jolis airs) qu’en nul regne (royaume).
    (Vers 753-4.)

    Cette supériorité des airs lorrains était-elle un effet de l’école de chant établie à Metz par Charlemagne, et une preuve que cet établissement avait fructifié ?