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vraies ne sont pas neuves, en revanche dans tel écrit négligé du moyen-âge sont enfouies des idées qu’on n’y soupçonnerait pas.

C’est ainsi qu’ayant eu la patience de lire un livre autrefois fameux, mais rarement ouvert depuis trois siècles, un livre qui passe en général pour ne renfermer qu’une allégorie galante assez fade, le Roman de la Rose, j’ai été surpris d’y trouver, avec les fadeurs qui n’y manquent point, un mouvement d’idées scientifiques et philosophiques et une veine de satire assez remarquables pour me donner la confiance d’en entretenir le lecteur, me hâtant de profiter pour une telle entreprise, car c’en est une de lire et d’analyser le Roman de la Rose, du répit, bien passager sans doute, que nous donnent en ce moment les chefs-d’œuvre.

Pendant long-temps, on n’a guère connu de notre poésie française du moyen-âge que le Roman de la Rose, et encore n’en connaissait-on que le nom. Depuis une vingtaine d’années, de nombreux monumens de notre vieille littérature ont été publiés ; mais, quoique plusieurs soient, à beaucoup d’égards, fort supérieurs au Roman de la Rose, aucun n’a encore conquis l’espèce de notoriété attachée depuis des siècles à cet ouvrage. D’autre part, tout en continuant de le citer souvent, on ne l’a pas lu davantage. En donner une analyse détaillée, c’est donc le publier pour ainsi dire. C’est entretenir le plus grand nombre des lecteurs d’un sujet qui, sans leur être nouveau, leur est étranger. C’est satisfaire cette curiosité qu’inspire le nom souvent répété d’un personnage inconnu ; c’est faire peut-être chose agréable à ceux qui aiment à savoir ce dont ils parlent, et qui mettent volontiers une idée sous un mot.

Le Roman de la Rose est l’œuvre de deux auteurs et se compose de deux parties très distinctes. Dans la première, Guillaume de Lorris eut pour but de représenter tous les effets et tous les accidens de l’amour, d’en faire un traité complet sous une forme allégorique, comme l’indiquent les deux vers placés en tête du poème :

Ci est le Roman de la Rose
Où l’art d’amour est toute enclose.

Il ajoute :

La matière est bonne et neuve.

Bonne, soit ; mais neuve, c’est autre chose. L’auteur n’acheva pas son poème, qui, lui mort, fut repris et continué dans un esprit entièrement différent par Jean de Meun.

Ces deux portions du Roman de la Rose forment véritablement