Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/546

Cette page a été validée par deux contributeurs.
540
REVUE DES DEUX MONDES.

trer dans la question, on marche bruyamment à côté. Toute bonne foi est absente de pareilles discussions, et si nous allions quelque temps encore de ce train-là, nous ne serions pas éloignés des saturnales de la critique.

Au fond, que reproche-t-on à M. Dumas et au Théâtre-Français ? On reproche à l’un d’avoir écrit, à l’autre d’avoir joué une comédie amusante. On oublie la moitié de notre répertoire comique. Voilà où mènent les mauvaises passions littéraires : cette semaine, pour les besoins d’une polémique acrimonieuse, la gaieté a été mise au ban du feuilleton. Au milieu de notre société si triste ou au moins si grave, au milieu de nos mœurs si monotones et si guindées, ne faudrait-il pas, au contraire, encourager les tentatives qui auraient pour but de relever la gaieté, qui est tombée trop bas, et de la faire refleurir sur une scène vraiment littéraire ? C’est dans cette voie, surtout à propos des mœurs de ce siècle, qu’il faut pousser le poète dramatique. La comédie est là. La pièce est bien jouée. Mlle Plessy, dans le rôle de Charlotte de Mérian, a de la dignité et de la passion, de la noblesse et de la grace ; et lorsque le vicomte de Saint-Hérem lui dit : Madame, vous jouez admirablement la comédie, toute la salle devrait applaudir. Mlle Anaïs, dans Louise de Mauclair, est vive, sémillante, malicieuse ; elle n’atténue pas, il est vrai, les défauts de son rôle : ce sont les qualités de son talent. M. Firmin est un vicomte de Saint-Hérem plein de chaleur et d’entraînement, et M. Regnier un Hercule Dubouloy toujours amusant et jamais grotesque. Quant à M. Brindeau, il joue un rôle si effacé, qu’il y aurait mauvaise grace à lui demander autre chose qu’une tenue élégante et une diction correcte, et il a l’une et l’autre.

Le succès des Demoiselles de Saint-Cyr a été complet ; mais, pour M. Dumas, il ne suffit pas de réussir. S’il veut tirer de la mine qu’il exploite en ce moment tout l’or qu’elle renferme, nous lui recommandons le soin et la patience, et nous lui conseillons de se lier avec le meilleur ami du poète, qu’il dédaigne trop, — le temps.


P. L…

V. de Mars.