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REVUE. — CHRONIQUE.

Je ne puis laisser passer sans observation la scène du cinquième acte, où le roi, insulté par Saint-Hérem, brise sa canne pour ne pas en frapper un gentilhomme, et où le gentilhomme brise son épée. L’un et l’autre invoquent un exemple célèbre : Philippe V cite son aïeul Louis XIV, et le vicomte de Saint-Hérem le duc de Lauzun. La citation n’est pas exacte. Louis XIV jeta sa canne par la fenêtre au lieu de la briser, et le duc de Lauzun ne jeta ni ne brisa son épée, et comment l’eût-il fait ? Il devait être pénétré de reconnaissance envers le monarque qui se désarmait pour ne pas le frapper. Si M. Dumas était resté dans l’histoire, la scène eût été plus vraisemblable et moins mélodramatique.

Après l’insulte au roi, que va devenir Saint-Hérem ? Il n’a qu’un parti à prendre, c’est la fuite ; mais il ne veut pas partir seul, car il sait qu’il est aimé, il sait aussi que Charlotte n’a jamais cessé d’être sa femme, et que c’était pour le ramener à elle qu’elle avait eu recours à un pieux mensonge. La pièce va donc finir comme elle a commencé, par un enlèvement, avec cette différence qu’au premier acte il enlève sa maîtresse, et qu’au dernier acte il enlève sa femme. Heureusement l’enlèvement et la fuite ne sont pas nécessaires ; le roi écrit qu’il oublie, et qu’il pardonne, et que les deux époux sont libres de rentrer en France.

D’après cette imparfaite analyse, on peut voir ce qu’est la comédie des Demoiselles de Saint-Cyr. Ce qu’on ne saurait assez louer dans cette comédie, c’est l’esprit, le sel et le tour. M. Dumas a le rare talent d’entraîner et d’amuser son auditoire. Mais pourquoi tombe-t-il dans des fautes qu’il lui serait si facile d’éviter ? Louise Mauclair n’est pas une pensionnaire, elle a l’habileté consommée d’une femme du monde, et d’un certain monde. Le duc d’Anjou est étrangement défiguré, et il ne serait pas aisé de reconnaître dans ce personnage qui prodigue si lestement les mots d’heureux coquin et de mauvais sujet, le prince qui, d’après Saint-Simon, avait l’expression lente, mais juste et en bons termes. Il faut encore blâmer M. Dumas de n’être pas plus soigneux de la couleur historique. Il confond à merveille le siècle de Louis XIV et celui de Louis XV, voire même l’époque de la régence, voire même ce temps-ci.

Malgré toutes les fautes que nous venons de relever, cette comédie est très spirituelle et très attachante, et le public l’a applaudie chaleureusement. Pour être exact, il faut ajouter qu’au dehors les Demoiselles de Saint-Cyr ont eu à essuyer un rude feu, le double feu de la passion et de l’étourderie. Si l’on employait son temps à noter avec sévérité les négligences de style, à remettre dans son chemin cette langue qui marche si souvent au hasard, en tâtonnant et presque en aveugle, à blâmer énergiquement toutes ces imperfections que l’auteur laisse subsister dans ses ouvrages, pour ainsi dire, de gaieté de cœur, à la bonne heure ! mais ce n’est pas ainsi qu’on l’entend. Le procédé qu’on a adopté est vraiment plus commode. Au lieu de faire de la critique éclairée et consciencieuse, on déraisonne bravement ; au lieu d’en-