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REVUE. — CHRONIQUE.

amours de son fils avec Ninon de l’Enclos et la Champmeslé ; si l’on n’a pas oublié l’histoire de cette correspondance si souvent réclamée, enfin rendue et brûlée, on peut avoir une idée de cette politesse de formes, de cette réserve délicate, de ces ménagemens infinis dont les hommes de ce temps-là se servaient toujours à l’égard des femmes, et dont ils ne se dépouillaient pas même dans leurs intrigues avec des courtisanes. Oh ! d’après ces détails si courts, mais si frappans, et qui s’échappent de la plume d’une mère, je suis sûr que si Ninon ou la Champmeslé eussent dit au marquis de Sévigné : Monsieur, je vous jure que cela est ainsi, Sévigné l’aurait cru. Et le vicomte de Saint-Hérem ne croit pas de la bouche de sa femme, d’une vertueuse femme qu’il aime, ce que le marquis de Sévigné aurait cru de la bouche d’une courtisane !

Si M. Dumas, n’ignorant pas qu’il commettait une invraisemblance qu’on peut appeler historique, a voulu passer outre, pour se donner le plaisir de faire une belle scène de plus, c’est une peccadille. La faute serait autrement grave, si l’auteur, ayant voulu représenter dans Saint-Hérem un homme de tous les temps, avait regardé comme une chose très naturelle et usitée à toutes les époques que, lorsqu’une femme donne sa parole d’honneur, on ne la croie pas.

Le troisième acte se passe à Buen-Retiro, dans un bal masqué que Philippe V, sous le nom du comte de Mauléon, donne à sa cour. Le petit-fils de Louis XIV s’ennuie sur son trône d’Espagne, et, pour se distraire, il donne des fêtes qui lui rappellent Marly ou Fontainebleau. C’est le vicomte de Saint-Hérem qui est son grand-maître des cérémonies, et qui tient la liste des invitations. Or, le duc d’Harcourt, l’ambassadeur de France, prie le roi, d’après des instructions de Mme de Maintenon, d’accorder l’entrée du bal à deux Françaises de distinction qui désirent garder l’incognito. Le roi ne refuse pas ce qu’on lui demande, et donne des ordres en conséquence au vicomte de Saint-Hérem. Le grand-maître des cérémonies et Dubouloy, qui ne l’a pas quitté, se livrent à toutes les conjectures pour savoir quelles peuvent être ces deux dames mystérieuses, admises à la cour contre toutes les lois de l’étiquette, et ils ne se disent pas, ce qui pourtant devrait aussitôt se présenter à leur pensée, que ces deux inconnues pourraient bien être la vicomtesse de Saint-Hérem et Mme Dubouloy. Ils sont encore au milieu de leurs recherches, lorsque le duc d’Harcourt vient les prendre à part pour leur faire une confidence ; il vient leur apprendre que les deux grandes dames dont on parle déjà tant à Madrid, sont chargées d’une mission diplomatique importante, qu’elles sont jeunes, spirituelles, jolies ; mais ce qu’il y a de piquant, c’est qu’elles ne savent pas elles-mêmes la mission qu’elles viennent remplir à la cour. Quel est donc le but caché de ce voyage, auquel s’intéresse Mme de Maintenon ? C’est de plaire au roi, et de remplacer dans son cœur la princesse des Ursins dont on se méfie. (M. Dumas sait aussi bien que nous que la princesse des Ursins avait alors soixante ans.) Le succès est infaillible. Si l’une échoue, l’autre l’emportera nécessairement ; elles ont d’ailleurs des chances égales : elles sont égale-