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REVUE. — CHRONIQUE.

demain. Il dit alors qu’il viendra les chercher lui-même à l’hôtel du vicomte, incognito, sous le nom du comte de Mauléon, et là-dessus il s’esquive en bon prince. Saint-Hérem est en proie à toutes les perplexités des amoureux. Viendra-t-elle ? ne viendra-t-elle pas ? Si elle vient, elle sera avec son inséparable compagne. Comme il voudrait avoir en ce moment un ami qui pût occuper Louise Mauclair ! Il se met à la fenêtre, et par un de ces hasards comme il n’y en pas dans la vie, mais comme on en trouve chez Molière, le personnage dont on a besoin vient à passer. C’est M. Hercule Dubouloy, fils d’un fermier-général, camarade du vicomte. Il va se marier dans deux heures ; le contrat est déjà dressé, et la future est à son poste ; et si Dubouloy est en ce moment dans la rue, c’est qu’il va au-devant de la corbeille de noces qui n’arrive pas. Saint-Hérem lui jette la clé, le supplie de s’en servir, Dubouloy monte, et le rire avec lui ; la comédie attendait dans la coulisse pour faire son entrée. Saint-Hérem explique à son camarade le service qu’il exige de lui ; l’autre, qui est pressé, s’en défend le plus drôlement du monde, mais il est engagé malgré lui : le vicomte, qui aperçoit Charlotte toute seule dans le jardin, saute par la fenêtre pour aller la joindre, au moment où Louise entre par la porte, et se trouve en présence d’Hercule Dubouloy. La scène entre ces deux personnages qui ne se sont jamais vus, et qui ne font que s’entrevoir dans l’ombre, est d’un comique parfait. Les protestations d’amour de Dubouloy à une personne qu’il ne connaît pas, qu’il ne voit pas, et qu’il a pour mission de retenir pendant une demi-heure, sont très plaisantes et lorsque, pressé par le temps, il s’écrie : Mademoiselle, maintenant que je suis sûr de mon bonheur, permettez que je me retire, le public le salue par un rire de bon aloi. Il n’est pas au bout de ses tribulations. On ne sort pas quand les portes sont closes, et la porte extérieure est fermée. Que faire ? Saint-Hérem rentre avec Charlotte, et, devant le fâcheux accident, ces jeunes têtes battent la campagne. Charlotte, se croit perdue ; Saint-Hérem propose le double enlèvement. Charlotte résiste, Louise y pousse ; Dubouloy, qui veut sortir avant tout, y consent de grand cœur, et lorsque la résistance de Charlotte est vaincue, et que les deux couples se précipitent pour s’échapper, un exempt de la prévôté paraît, arrête les galans, delicto flagrante, et les conduit à la Bastille.

Ce premier acte, plein de mouvement et de gaieté, engage à merveille l’action. Le vicomte et son ami ne passent qu’une nuit à la Bastille, mais lorsqu’ils franchissent le seuil de la prison le lendemain matin, ils sont mariés, Saint-Hérem avec Charlotte de Mérian, et Dubouloy, que son père, sa fiancée et tout le beau monde de la finance ont attendu toute la nuit, avec Mlle Louise Mauclair, qu’il a vue pour la première fois dans la chapelle de la Bastille, à la lueur des bougies qui éclairaient l’autel nuptial. On a usé de violence morale à leur égard ; on leur a dit de choisir du mariage ou de la prison, et on ne leur laissait pas ignorer que Mme de Maintenon était derrière la toile, et que la prison serait longue. Saint-Hérem rentre à son hôtel. C’est là que se passe