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REVUE. — CHRONIQUE.

de son corps d’armée. De tous ses plans, sa jonction avec Van-Halen est le seul qu’Espartero ait pu réaliser. On nous apprend aujourd’hui qu’à l’aide sans doute de l’artillerie envoyée de Cadix, les deux généraux réunis canonnaient Séville et en avaient déjà presque détruit un faubourg. Violence aussi déplorable qu’elle est inutile et sans but ! Qu’espèrent donc ces deux hommes ? Les ruines de Séville leur fourniront-elles une armée pour subjuguer toute l’Espagne ? feront-elles que la reine rentre au pouvoir d’Espartero ? Hier Barcelone, aujourd’hui Séville ! Singulier procédé pour captiver l’affection et l’adhésion de l’Espagne que d’en détruire les villes les plus florissantes ! Espartero veut donc pousser à bout la patience de son pays ? Il a tort : on n’a jamais raison contre son pays.

Lorsqu’il attaquait Séville le 21, Madrid était encore au pouvoir d’Espartero. C’est là ce qui peut, jusqu’à un certain point, excuser cette attaque. Redisons-le, après la reddition de Madrid, tout acte d’hostilité ne serait pas seulement une folie ; ce serait un crime. Pourquoi, en effet, prolongerait-il une lutte sanglante ? Pourquoi attirerait-il sur son pays toutes les calamités et toutes les horreurs de la guerre civile ? Pour quelques mois de régence ? Le but serait hors de proportion avec les moyens. Pour d’autres motifs plus graves, plus sérieux ? Ils ne pourraient être que criminels.

Madrid est tranquille. Nous ne savons pas encore si le gouvernement rappellera les cortès qu’Espartero avait dissoutes, ou si, maintenant le décret de dissolution, il convoquera des cortès nouvelles. Dans cette seconde hypothèse, il est assez naturel qu’on attende la fin des hostilités pour que les élections puissent se faire partout avec tranquillité et sûreté.

Nous n’avons jamais conçu à l’égard de l’Espagne, de son gouvernement, de son organisation intérieure, de plus vives, de plus sincères espérances que dans ce moment. Il y a eu dans le mouvement qui va, nous le pensons, se terminer, tant de mesure, tant de prudence, d’habileté et d’énergie, qu’on est, ce nous semble, autorisé à en tirer d’heureux présages pour le pays. L’esprit municipal s’est montré moins exclusif, moins violent, plus clairvoyant qu’à l’ordinaire. Les hommes de guerre ont été en même temps des hommes politiques. Ils ont compris qu’il ne s’agissait pas de guerroyer chacun pour son compte, mais de concourir tous au même but. C’est ce qui a eu lieu, avec un accord, avec un ensemble qui les honore plus qu’un fait d’armes ; car ce n’est pas de leur courage qu’on pouvait douter, mais de leur franche participation à une œuvre commune, de la modération de leurs projets, de la sagesse de leur politique. L’Espagne a été si divisée par les partis ! On dirait, et tout homme de bien doit s’en féliciter, qu’elle aspire enfin au repos, mais au repos d’un pays libre et maître de lui-même ; on dirait que tous les amis de l’ordre et de la liberté veulent enfin se réunir pour former un seul et même parti, le parti de la monarchie constitutionnelle, le parti vraiment national.

Si cette grande pensée se réalise, l’Espagne aura changé de face avant dix