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Parmi les nations européennes, l’Espagne est sans contredit une de celles qui s’irritent le plus à la pensée de toute intervention de l’étranger dans ses affaires. Les faits contemporains expliquent assez la vivacité de ce sentiment national. Qui plus qu’Espartero aurait dû le respecter, en ménager toutes les susceptibilités, en redouter l’explosion ? Il l’aurait dû sans doute, mais le pouvait-il ? L’histoire dira plus tard jusqu’à quel point sont fondées les accusations qu’a soulevées contre lui l’intimité de ses relations avec un gouvernement étranger. Toujours est-il que sur ce point encore sa conduite était en désaccord avec les opinions et les sentimens du pays.

Par une de ces contradictions qui sont si communes dans l’histoire des peuples, comme dans celle des individus, l’Espagne, quelle que soit la vivacité de ses sentimens monarchiques, n’en est pas moins un pays de municipes. Le principe communal y a conservé la plus grande force. Le despotisme a pu le comprimer, il ne l’a point brisé. Les Espagnols sont aussi jaloux de leurs municipes que de leur royauté. Quiconque offense gravement une cité de la Péninsule offense l’Espagne, moins encore par la confraternité nationale que par la confraternité municipale. C’est ce qu’Espartero n’a pas assez considéré lorsqu’il a osé traiter Barcelone comme un général ennemi n’oserait pas de nos jours traiter une ville conquise. Il offensait mortellement les Catalans, et c’était déjà un fait grave ; mais il blessait en même temps toutes les cités de l’Espagne. Chacune d’elles put apprendre le sort qu’Espartero lui réservait en cas de dissentiment entre le gouvernement central et la commune. L’intimidation n’était pas une arme qu’Espartero pût manier avec succès. Il aurait fallu, pour cela, un pouvoir moins contesté, moins précaire, ayant plus d’avenir.

Quel que fût son aveuglement, ces vérités ont dû frapper l’esprit d’Espartero dans sa marche sur Valence. Évidemment il croyait d’abord n’avoir affaire qu’à une insurrection toute partielle, n’avoir qu’une ville de plus à brûler. Les nouvelles qui venaient d’heure en heure le surprendre ont dérangé tous ses plans ; il a compris trop tard qu’il avait l’Espagne presque tout entière sur les bras, qu’il ne pouvait pas compter sur l’armée, et que d’ailleurs, en la dispersant sur toute la surface du royaume en petits corps détachés, il avait commis une faute énorme et secondé comme à plaisir les efforts de l’insurrection. Ajoutons que ses rivaux ont été aussi prudens, aussi habiles et aussi résolus qu’il a été, lui, incertain et timide. Il a espéré pendant quelque temps que Seoane et Zurbano pourraient, après avoir mis à la raison les Catalans, se réunir à lui pour soumettre Valence et le ramener vainqueur à Madrid. Il a vu ensuite qu’il fallait quitter au plus tôt le nord de l’Espagne, et alors il a évidemment hésité entre son retour à Madrid et sa marche en Andalousie. Probablement les assertions de Mendizabal et les criailleries de la milice madrilène l’ont encore induit en erreur. Il a cru qu’il avait le temps de faire sur Séville le coup d’éclat qu’il n’avait pu faire sur Valence. Les évènemens ont trahi toutes ses espérances.

Des généraux d’Espartero, Van-Halen a seul conservé une grande partie