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REVUE DES DEUX MONDES.

« La richesse, mortel chétif, voilà le dieu des sages : tout le reste n’est que paroles sonores, expressions pompeuses et vides. Que me font ces temples des rivages, consacrés à mon père ? Qu’avais-tu affaire d’en parler ? Pour la foudre de Jupiter, je ne la crains point, étranger. Je ne sache pas, vraiment, que Jupiter soit un dieu plus puissant que moi ; enfin, je ne m’en soucie point. Et pourquoi ? tu vas le savoir. Quand il fait tomber la pluie, je trouve sous cet antre un abri sûr, et là, paisiblement étendu, je gorge mon estomac des chairs rôties d’un veau ou de quelque bête sauvage, je l’arrose par intervalles d’une pleine amphore de lait, faisant retentir, à l’envi des foudres célestes, le bruit de mon tonnerre. »

On ne peut rapprocher de ce dernier trait que l’explication, donnée par le Socrate d’Aristophane au stupide Strepsiade, du phénomène de la foudre[1]. Les deux poètes sont d’accord, cette fois, pour mettre de côté toute délicatesse. Ce trait, qui a justement révolté le goût de Voltaire, je n’ai pas cru, quelque repoussant qu’il soit, le devoir omettre ; il est caractéristique ; il montre que non-seulement l’impureté, mais l’ordure, étaient comme les assaisonnemens reçus d’un genre destiné à délasser du spectacle tragique, outre les honnêtes gens, le brutal populaire, d’un genre que son nom seul, et la présence obligée du personnage sans vergogne qui le lui donnait, invitait, autorisait à tout oser ; d’un genre enfin qui, comme la comédie, couvrait ses licences, même les plus graves, par l’élégance continue et la poésie du style. Il n’y a plus rien de pareil dans ce que me reste à citer de la harangue bouffonnement sentencieuse du cyclope.

« Quand le vent de Thrace, Borée, vient à répandre la neige., j’entoure mon corps d’une peau de bête fauve, j’allume du feu, et alors la neige ne m’inquiète plus. La terre, de nécessité, qu’elle le veuille, qu’elle ne le veuille pas, produit l’herbe qui engraisse mes troupeaux, et ce n’est pas pour que je les sacrifie à quelque autre divinité qu’à moi-même, qu’à ce ventre, le plus grand des dieux ; car bien manger, bien boire, selon le besoin de chaque jour, c’est, pour les sages, le vrai Jupiter, et aussi ne se point tourmenter. Maudits soient les faiseurs de lois qui en ont embarrassé la vie humaine ! Je ne cesserai point, pour moi, de me bien traiter, de me tenir en joie, et d’abord je te mangerai. Les dons d’hospitalité que tu recevras de moi, pour que j’échappe aux reproches, ce sera du feu, et cette chaudière paternelle, chaud vêtement destiné à tes membres délicats. Allons, animaux rampans, entrez, et offerts à l’autel du dieu de cette caverne, procurez-moi un bon repas. »

  1. Voir les Nuées.