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LE DRAME SATYRIQUE DES GRECS.

dans ce drame qui va devenir si familier, à désigner les compagnons d’Ulysse.

C’est Ulysse, en effet, qui s’approche, non sans étonnement, des satyres et se fait connaître à eux. « Ah ! oui, dit Silène, descendant un moment de sa hauteur tragique, je sais, un beau parleur, le fils rusé de Sisyphe. » Une explication suit, ainsi que dans les tragédies : les satyres apprennent d’Ulysse qu’il vient de Troie, et qu’en route pour Ithaque les vents contraires l’ont jeté sur ce bord, absolument comme eux-mêmes. En retour, il apprend d’eux chez quel peuple barbare, dans la demeure de quel monstre avide du sang des hommes, son mauvais sort l’a conduit.

Ulysse, pressé de repartir (le cyclope qui est à la chasse pourrait revenir d’un moment à l’autre), demande qu’on lui vende quelques provisions, et il en offre un prix qui charme Silène, et pour lequel ce divin ivrogne donnerait de grand cœur tous les fromages, tous les troupeaux de Polyphème : c’est une outre d’excellent vin que le roi d’Ithaque tient de Maron lui-même, le fils de Bacchus. Ce vin, avant de l’accepter en paiement, il le goûte, et avec des transports de joie, une volupté, un enthousiasme exprimés très plaisamment, trop plaisamment même, car ici, comme souvent ailleurs, la tragédie, participant à l’ivresse de Silène, s’égaie plus qu’il ne conviendrait.

C’est le caractère de la scène suivante, dans laquelle, en l’absence de Silène, qui a été chercher les provisions promises à Ulysse, les satyres s’approchent du héros, et lui adressent des questions sur cette guerre de Troie, dont le bruit remplit tout l’univers. Plus d’une scène tragique a été faite sur ce texte, et par Euripide lui-même. Mais on est jeté bien loin de la tragédie par les plaisanteries, plus que libres, que se permettent les satyres au sujet d’Hélène. Je ne les rapporterai pas ; j’aime mieux citer un trait qui n’est que gai, et dans lequel on peut voir une parodie volontaire des déclamations du poète contre les femmes. « Sexe funeste, fait-il dire à son chœur de satyre, plût aux dieux qu’il n’eût jamais existé… que pour moi seul ! »

Au moment où va se conclure le marché d’Ulysse avec Silène, on voit venir le cyclope. Tous tremblent, et le héros lui-même parle de fuir et de se cacher ; mais, lorsqu’il en comprend l’impossibilité, il fait bravement face au péril. La tragédie, d’après l’épopée, lui a prêté partout ce genre de résolution, et nulle part il ne l’exprime plus noblement qu’ici :