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teaux. Cependant survient Sylée, fort irrité du dégât fait dans sa maison des champs, et surtout des façons insolentes de son serviteur, qui, sans s’émouvoir, l’invite à se mettre à table, et à lui faire raison la coupe à la main. Ces scènes, dont on nous a transmis des esquisses, devaient être véritablement fort réjouissantes ; mais, au milieu des mille traits bouffons qui les animaient, reparaissait de temps à autre la tragédie ; par exemple, dans ces paroles de l’impassible Hercule à son maître menaçant :

« Vienne le feu, vienne le fer ! brûle, consume mes chairs ; gorge-toi de mon sang. Les astres descendront au-dessous de la terre, la terre s’élèvera au-dessus du ciel, avant que tu entendes de ma bouche d’humbles et flatteurs discours. »

« Je suis juste pour les justes ; mais les méchans n’ont pas sur terre de plus grand ennemi que moi. »

La légende racontait qu’avec Sylée, Hercule avait fait périr sa fille Xénodice, sans doute après l’avoir déshonorée. Quelques fragmens qui contiennent la menace d’un tel attentat faisaient descendre la pièce jusqu’à cette obscénité, l’un des étranges agrémens de ces drames. Hercule terminait ses exploits tragi-comiques en détournant les eaux d’un fleuve pour noyer la demeure même de Sylée.

II.

À cette classe de pièces satyriques qui viennent d’être parcourues, appartient évidemment, par la nature du sujet, par le caractère de la composition, le Cyclope, que le témoignage d’Athénée et l’accord unanime des manuscrits permettent d’attribuer incontestablement à Euripide. Dans cette œuvre, où le poète a reproduit un sujet déjà traité sous la même forme par un des premiers auteurs de drames satyriques, Aristias, on voit encore aux prises avec l’habileté et le courage d’un héros, avec la gaieté d’une troupe de satyres, une sorte de monstre grossier et féroce ; là se rencontrent de nouveau la dignité de la tragédie et un comique qui ne s’abstient ni du gros sel ni de la gravelure. Les fragmens du théâtre d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide, auraient suffi pour nous apprendre que tels étaient les élémens du genre ; mais, si une heureuse fortune ne nous avait conservé le Cyclope, nous aurions ignoré de quelle manière ils se combinaient dans un tout harmonieux, comment de telles pièces pouvaient être