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comme les thèmes que l’on fait au collége, ils n’influent en rien sur le goût de la nation. » Jusqu’à présent, Jean-Jacques Rousseau a seul donné un démenti à cette assertion, qui n’est que trop fondée.

Le plus grand ennemi du style de l’histoire est le genre académique. Dans l’histoire, tout doit être réel, simple et positif, tandis que le genre académique ne croit pas pouvoir se passer d’une parure étudiée. L’historien, s’il a cette imagination qui s’accorde avec le bon sens et la critique, rencontre sous sa plume les effets et l’éclat du style, mais il ne les cherche pas, et il ne les accepte que lorsqu’il les voit naturellement sortir de son sujet : au contraire, l’orateur académique est souvent tenté de rechercher avant tout des ornemens splendides, fussent-ils même étrangers à l’objet qui l’occupe, oubliant que, comme l’a dit Pascal, la vraie éloquence se moque de l’éloquence. Heureusement M. Mignet, qui a porté dans la rédaction de ses éloges plusieurs des qualités de l’historien, n’a pas permis à des réminiscences académiques d’altérer sa manière d’écrire l’histoire. Il est pour cela trop maître de son talent. Le premier des mémoires qu’il a joints à ses notices est consacré à un tableau de la Germanie au VIIIe et au IXe siècle. Dans ce fragment, M. Mignet s’est proposé de montrer comment et par qui l’ancienne Germanie a été incorporée dans la société civilisée de l’Occident. On comprend que c’est l’histoire de la conversion des Germains au christianisme, conversion qui fut surtout l’ouvrage de Charlemagne, de Grégoire-le-Grand, du moine Augustin et de Winfrid, que la reconnaissance et la politique de Rome sacrèrent évêque sous le nom de Boniface. Tous ces faits sont réunis en faisceau avec une simplicité ferme : les déductions de l’écrivain s’enchaînent avec une vigoureuse clarté, et il conclut légitimement que par la conversion de la race germanique, la partie du continent européen qui était la plus exposée aux invasions y fut désormais soustraite. Peut-être seulement M. Mignet n’a-t-il pas assez marqué la part qu’eurent les Germains eux-mêmes à la conversion des Germains. Expliquons-nous. Il y a deux grands momens dans la régénération de l’Europe par les races germaniques. D’abord ces races se jettent sur l’empire romain ; elles emploient quelques siècles à l’abattre, et pendant ce temps elles sont elles-mêmes moralement domptées par l’esprit du christianisme. Quand ce double travail fut accompli, ces mêmes races, accrues des forces gauloises et romaines, voulurent gagner à leur foi nouvelle les autres Germains qui vivaient entre le Rhin, l’Elbe et le Danube. C’est cette grande entreprise dont M. Mignet a tracé la peinture, et dans laquelle il