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Les généralités sur le XVIIIe siècle et la révolution ont été brillamment épuisées par M. Mignet : il se trouvera désormais dans la nécessité heureuse pour nous comme pour lui d’aborder des questions plus spéciales. M. Mignet est au début de la carrière académique qu’il doit parcourir, car il n’a encore écrit que huit éloges. Fontenelle en a laissé soixante-onze, d’Alembert quatre-vingt-deux, et Cuvier trente-neuf : il est vrai que dans les morceaux composés par les deux premiers, il y en a quelques-uns d’une brièveté extrême. Le secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales sentira le besoin, nous le croyons du moins, de faire une provision plus abondante de détails, de ces particularités intimes qui aux yeux du lecteur ont presque le don de rendre la vie aux morts dont on lui offre le panégyrique. Nous demanderons aussi à M. Mignet de mettre aux louanges qu’il distribue si bien un nouvel assaisonnement, c’est-à-dire d’introduire dans ses éloges la critique. Cela ne doit pas être difficile pour un historien. M. Mignet, en se donnant le spectacle du passé, a étudié les hommes comme un observateur qui veut les peindre ; il sait mieux que personne qu’il n’est pas de talent et de caractère qui n’ait ses taches et ses défaillances. Le beau dans l’art, dans la pensée, dans l’action, n’est pas la conséquence d’une harmonie parfaite ; l’humaine nature ne la comporte pas. Le beau jaillit de la lutte entre le bien et le mal, où le bien, quelquefois vaincu, aboutit au triomphe. Aussi sans la peinture de ce mélange et de ce combat, ni l’écrivain ne saurait être vrai, ni le style vivant.

La liberté des jugemens et la variété des faits auront l’avantage de communiquer à la belle manière d’écrire de M. Mignet un peu plus de mouvement. Les qualités éminentes de son style sont l’ordre, la lucidité, l’ampleur ; mais parfois l’ordre dégénère en une symétrie trop compassée, et à force d’être amples, les phrases de l’écrivain deviennent interminables. Sur ce dernier point, il ne sera pas inutile d’appuyer notre critique de quelques exemples. M. Mignet s’est souvent proposé de résumer en une seule phrase les plus vastes sujets. Nous pourrions ici, sinon multiplier les citations, du moins désigner de nombreux passages ; il nous suffira d’indiquer trois périodes dont les proportions sont tout-à-fait extraordinaires. Lorsqu’il passe en revue les travaux historiques de Daunou, M. Mignet fait une phrase de vingt-quatre lignes sur le XIIIe siècle ; une autre phrase sur la chimie, dans l’éloge de Destutt de Tracy, en a trente-quatre ; enfin, nous en trouvons quarante-trois dans une période où l’écrivain, qui alors s’occupe de Broussais, ne prétend