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jugement, et le peintre n’a rien changé aux traits essentiels de la physionomie. Seulement il en a accusé quelques détails avec plus de vigueur.

Si le génie régulier de Sieyès a été pour M. Mignet l’objet d’un éloge excellent, peut-être a-t-il été moins bien inspiré par l’obligation qu’il s’est imposée de louer le prince de Talleyrand quelques mois après sa mort. Non que dans ce dernier morceau il n’y ait l’empreinte d’un talent très distingué ; mais était-il déjà possible d’apprécier exactement un homme sur le compte duquel tant de témoignages sont encore attendus ? M. de Talleyrand est un des plus grands personnages qui aient été dans les affaires de l’Europe depuis 1789 : les degrés par lesquels il est monté à un pareil rang dans l’histoire furent une haute naissance, les circonstances exceptionnelles d’une révolution, enfin son esprit. Quelle a été la véritable portée de cet esprit ? où a-t-il été puissant ? par quels endroits s’est-il montré faible ? voilà les questions que doit résoudre le panégyriste ou le biographe de ce politique. Or, pour cela, que de problèmes à trancher ! que de matériaux à recueillir ! M. de Talleyrand a conclu des traités avec les grandes et les petites puissances de l’Europe, tour à tour au nom de la république, du premier consul, de l’empereur, de Louis XVIII et du roi Louis-Philippe. Comment savoir dès aujourd’hui jusqu’à quel point il a été habile et fidèle dans ces innombrables négociations ? Il y a bien des secrets enfouis dans les chancelleries de l’Europe, et l’histoire du célèbre diplomate est exposée à changer souvent de face à mesure que ces secrets, à force de vieillir, seront moins bien gardés.

Combien de fois a pu se tromper M. de Talleyrand ? Un jour le prince et le comte Pozzo di Borgo passaient en revue ensemble les principaux actes de leur carrière diplomatique ; c’était après 1830, et après la clôture des conférences de Londres. Le comte Pozzo était peut-être le seul homme qui pût avoir avec M. de Talleyrand le privilége de la franchise ; il en usa, car il lui dit : « Vous avez fait deux fautes contre la France, l’érection du royaume de Saxe, et la neutralité de la Belgique. »

Malheureusement il y a d’autres critiques encore à adresser à la politique du prince. Quand en 1815 les souverains, réunis à Vienne en congrès, apprirent que Napoléon avait quitté l’île d’Elbe, ils n’eurent plus qu’une pensée, celle de se coaliser encore une fois tous contre un seul. Dès Le 13 mars, ils publièrent une déclaration dans laquelle ils mirent Napoléon au ban de l’Europe, en l’appelant l’ennemi et le perturbateur du repos du monde. Cette déclaration était