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d’aperçus qui échappent à l’alignement du cordeau ; mais qui prétendra que ces vigoureux esprits ne soient pas fidèles à eux-mêmes ?

Le livre de Plutarque a fait des héros ; celui de Fontenelle a fait des savans. Nous ne connaissons pas d’ouvrages qui prêtent plus de séductions à la science, parce qu’il en résume avec une clarté attrayante les grands résultats. Dans les éloges de Fontenelle, on voit encore que la science met l’homme non-seulement sur la trace de la vérité, mais souvent aussi sur celle du bonheur. En effet, elle rend l’esprit égal, tranquille, et elle l’exempte de ces vaines inquiétudes, de ces agitations insensées qui sont les plus douloureuses et les plus incurables de toutes les maladies[1]. Sans doute, il y a des taches dans le livre que nous prisons si fort, et le style précieux s’y est parfois glissé. On retrouve de temps à autre chez le secrétaire de l’Académie des Sciences l’homme dont La Bruyère a fait méchamment la charge sous le nom de Cydias. Toutefois ces défauts n’ont rien d’assez saillant pour nuire à l’effet général ; on dirait même qu’ils ne sont là qu’afin de nous avertir de quel point Fontenelle est parti pour s’élever si haut.

Un genre nouveau était créé dans les lettres modernes et françaises. Les sciences trouvaient désormais un mode populaire d’enseignement et de propagation dans l’éloge de ceux qui les cultivaient avec honneur, et la vie des savans célèbres devenait la matière d’une éloquence où devait régner surtout l’esprit philosophique. Si cette nouvelle application de l’art de bien dire avait ses avantages et ses agrémens, elle ne manquait pas non plus d’écueils. En effet, l’orateur académique peut vouloir trop louer son héros et trop plaire à ceux qui l’écoutent ; il court aussi le risque de ne pas se préserver assez des généralités vagues et des lieux-communs prétentieux. Ici l’art a d’autant plus de difficultés à vaincre qu’il a le champ plus libre.

En se proposant d’écrire des Éloges après Fontenelle, d’Alembert chercha surtout à ne pas lui ressembler. Dans ce dessein raisonnable, la différence des sujets qu’il traitait venait à son secours. Fontenelle avait loué les savans, d’Alembert entreprit d’apprécier les travaux et de raconter la vie des littérateurs. Les Éloges lus dans les séances de l’Académie française forment une véritable histoire littéraire pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle ; la lecture en est tout-à-fait attachante. D’Alembert n’affecte pas la précision un peu sentencieuse de Fonte-

  1. Éloge de Cassini.