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DE L’ÉLOQUENCE ACADÉMIQUE.

aussi son mot. « Les idées métaphysiques, remarque Fontenelle, seront toujours pour la plupart du monde comme la flamme de l’esprit-de-vin, qui est trop subtile pour brûler du bois[1]. » Les Éloges de Fontenelle sont pleins de ces pensées, non moins délicates que profondes, qui provoquent agréablement la méditation.

Comme toutes les intelligences vraiment vastes, Fontenelle savait embrasser et réunir dans ses écrits des points de vue qui, au premier abord, paraissent opposés. En louant Leibnitz, Fontenelle dut faire observer que l’antagoniste de Locke avait lu des philosophes sans nombre, et il arrivait ainsi à la question de l’éclectisme. Chose remarquable ! le mot d’éclectisme n’est pas une seule fois prononcé par Fontenelle dans l’Éloge de Leibnitz, le mot n’avait pas cours alors dans notre langue ; mais pour la chose, elle y est, et voici en quels termes : « L’histoire des pensées des hommes, certainement curieuse par le spectacle d’une variété infinie, est aussi quelquefois instructive. Elle peut donner de certaines idées détournées du chemin ordinaire que le plus grand esprit n’aurait pas produites de son fond ; elle fournit des matériaux de pensées ; elle fait connaître les principaux écueils de la raison humaine, marque les routes les plus sûres, et, ce qui est le plus considérable, elle apprend aux plus grands génies qu’ils ont eu leurs pareils, et que leurs pareils se sont trompés. Un solitaire peut s’estimer davantage que ne fera celui qui vit avec les autres et qui s’y compare. » A-t-on de nos jours dit sur l’éclectisme quelque chose de mieux ? Ne nous hâtons pas trop cependant de saluer dans Fontenelle un éclectique, car il nous dit dans un autre endroit : « Malebranche méprisait cette espèce de philosophie qui ne consiste qu’à apprendre les sentimens de différens philosophes. On peut savoir l’histoire des pensées des hommes sans penser. » Fontenelle est-il en contradiction avec lui-même ? En aucune façon. Seulement il met à sa place chaque chose. Il ne confond pas l’histoire de la science avec la science même ; il reconnaît tout l’avantage qu’on peut recueillir de la vue du passé, mais il met au-dessus la pensée vivante. Il arrive parfois qu’après un examen superficiel, on croit pouvoir signaler des contradictions chez les hommes qui sentent vivement et qui écrivent beaucoup. Regardez-y de plus près, et vous verrez que les contrastes dans le détail s’accordent fort bien avec la persistance pour le fond des choses. Dans saint Augustin comme dans Voltaire, dans Sénèque comme dans Bossuet, éclate une variété

  1. Éloge de Malebranche.