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impulsion puissante aux sciences mathématiques et physiques, qui commencèrent enfin à s’associer à l’éclat des lettres et des arts. Louis XIV et Colbert eurent le mérite de reconnaître et de consacrer ce glorieux avènement en fondant, en 1666, l’Académie des Sciences. Grace à cette institution, les savans purent désormais accroître leurs lumières en se les communiquant. Mais cet établissement devait encore porter d’autres fruits : l’Académie des Sciences jugea ne pouvoir mieux servir les précieux intérêts qu’elle représentait qu’en écrivant sa propre histoire, et Fontenelle fut choisi pour tenir la plume.

Le neveu de Corneille avait alors plus de quarante ans : ce n’était plus l’homme des Églogues, des Lettres du chevalier d’Her…, de l’opéra de Thétis et Pelée ; depuis long-temps il avait pris congé définitif de toutes ces fadeurs. Fontenelle, qui avait commencé d’écrire à dix-sept ans et qui devait vivre un siècle, traversait avec une intelligente sérénité les phases diverses d’un esprit devenu maître de lui-même. La vie était pour lui un enseignement continuel dont il acceptait toujours à propos les variétés piquantes ; il faisait récolte de tout. Son style profita de tant d’expérience : nous y retrouvons à la fois les impressions de l’homme du monde et les traditions de l’homme lettré. Le célibataire ingénieux qui partageait si bien sa vie entre les travaux du cabinet et les causeries du salon écrivit l’histoire des sciences et la vie de ceux qui s’y distinguèrent avec un charme, avec une animation inconnus jusqu’à lui. Il n’eut dans sa manière rien de pédantesque et de gourmé. S’il parle de Homberg, le premier médecin du régent, après l’avoir loué comme savant et comme chimiste, il ajoutera : « Il était même homme de plaisir, et c’est un mérite de l’être, pourvu qu’on soit en même temps quelque chose d’opposé. » Dans la prose de Fontenelle, les hommes vivent avec leurs qualités, leurs défauts, et parfois leurs ridicules : il connaissait assez l’incurable malignité du cœur humain pour ne pas avoir soin de mettre un peu d’ombre aux louanges éclatantes dont il était le dispensateur officiel.

La lumineuse étendue de l’esprit de Fontenelle lui permettait de juger non-seulement les hommes, mais même les sciences et les méthodes, avec une grande indépendance. Ainsi il ne craindra pas de dire que « l’art de découvrir en mathématiques est plus précieux que la plupart des choses qu’on découvre[1]. » La métaphysique a

  1. Éloge de Leibnitz.