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UN HOMME SÉRIEUX.

gnante qu’il fallait l’étouffer, elle parvint à composer son visage et à reprendre la physionomie froidement calme qui lui était habituelle. Henriette obéit sans résistance, car la soumission est facile aux cœurs qui triomphent en secret. La tante et la nièce se dirigèrent lentement vers la maison sans échanger une seule parole. En arrivant au perron par où l’on descendait au jardin, Henriette laissa passer la marquise par une feinte déférence, et se retourna sans affectation. Moréal avait entr’ouvert de nouveau la fenêtre du belvédère, et sa tête s’y montrait à demi, prête à disparaître à la première alarme. Par un mouvement sympathique, les deux amans portèrent en même temps la main à la bouche. Était-ce une recommandation de prudence ? était-ce un simulacre de baiser ? C’était l’un et l’autre.

Mme de Pontailly eut avec la maîtresse du pensionnat une conversation confidentielle dont fit tous les frais la prétendue nécessité de dompter par le traitement le plus sévère le mauvais caractère de la jeune fille ; elle se retira ensuite de l’air d’une reine offensée, sans adresser à Henriette un seul mot d’adieu.

— Oh ! je me vengerai ! s’écria-t-elle lorsque, dans sa voiture, elle put donner un libre cours à sa colère ; je leur montrerai à tous deux ce que peut la juste indignation d’une femme outragée…

XX.

Le lendemain, vers trois heures, M. de Pontailly et Prosper Chevassu arrivèrent presque en même temps chez Moréal, où ils s’étaient donné rendez-vous. Le marquis et l’étudiant semblaient soucieux, et l’on pouvait aussi prendre pour l’effet d’un chagrin secret l’air pensif du vicomte.

— Tu es le plus jeune, à toi d’abord la parole, dit le vieillard à son neveu.

— Il y a de quoi faire une pièce en cinq actes ou un roman en deux volumes, dit Prosper, avec la position pathétique où je me trouve entre mes affections de frère et mes devoirs de fils. Quand le journal de ma tante paraîtra, il n’est pas certain que je n’épanche pas en cinq ou six feuilletons les sentimens contradictoires que j’éprouve depuis vingt-quatre heures. D’une part, une jeune fille qui est bien la meilleure du monde et que je chéris tendrement,