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ingénieux ! il a pensé qu’une marque de souvenir ferait du bien à la pauvre captive, et il vous a priée, suppliée de me remettre cette bague ; comment auriez-vous pu refuser ? Le moyen de lui dire non quand il prie ? ma bague bien-aimée, poursuivit Henriette les yeux fixés sur l’anneau avec une tendre exaltation ; tu ne me quitteras jamais. Henriette et Fabien ! Comme ces lettres semblent s’aimer ! Toujours ! c’est là le mot que j’aurais écrit. Oh ! oui, toujours ! toujours !


La joie qui rayonnait au front de la jeune fille avait dans son transport une telle sérénité, qu’à la fin Mme de Pontailly comprit que ce n’était pas là de la folie, mais du bonheur.

— Qu’est-ce cela veut dire ? demanda-t-elle tout interdite ; perdez-vous l’esprit, ou suis-je dupe d’une indigne tromperie ? N’est-ce pas vous qui avez donné cette bague à M. de Moréal ?

— Je ne vous comprends pas, répondit Henriette, à son tour étonnée.

— Avez-vous, oui ou non, donné cette bague à M. de Moréal ?

— Mais vous savez bien que c’est lui qui me la donne, dit la jeune fille prête à éprouver au sujet de sa tante l’appréhension que celle-ci avait ressentie un instant auparavant.

— Ce n’est donc pas une restitution ? continua Mme de Pontailly d’une voix sourde.

— Une restitution ? Je n’ai jamais rien donné à M. de Moréal… que mon cœur, ajouta Henriette avec un naïf sourire, et je ne crois pas qu’il veuille me le rendre.

— Ah ! quelle affreuse trahison ! murmura la marquise frémissante de colère ; comme cet homme s’est joué de moi insolemment ! Mais, je le jure, j’en tirerai une éclatante vengeance. Oh ! le lâche imposteur !


Henriette écoutait avec une surprise croissante les involontaires exclamations d’un des plus cruels désappointemens que puisse éprouver une femme ; doutant de ce qu’elle entendait, elle se pencha vers la marquise pour la voir en face, et aperçut alors sur sa figure une telle expression de haine, qu’elle se rejeta en arrière presque aussi effrayée que si elle eût marché sur un serpent. Le bandeau qui lui couvrait les yeux tomba soudain. Sans deviner les détails de la comédie jouée par Moréal, la jeune fille comprit instinctivement ce qui avait dû se passer, et pressentit qu’entre elle et sa tante il y avait désormais un éternel élément de discorde. La physionomie de la femme humiliée annonçait un éclat prochain et terrible. Trop heureuse en ce moment