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UN HOMME SÉRIEUX.

évolutions frivoles, vous vous êtes fixée au calice de l’érudition. Si le miel scientifique et littéraire dont vous vous nourrissez maintenant est trop raffiné pour qu’un profane comme moi puisse en apprécier la saveur, du moins ai-je le droit de dire qu’un pareil régime me semble fort sain, et que j’y donne la plus complète approbation.

— L’éloge me semble un peu ironique, dit la marquise en se pinçant les lèvres ; mais, comme c’est le premier que vous accordez à mon goût pour la culture de l’intelligence, je l’accepte à titre de rareté.

— Acceptez-le plutôt, madame, à titre de conseil, et puisse-t-il vous maintenir dans la voie raisonnable où vous marchez depuis quelques années, et d’où vous me semblez aujourd’hui disposée à sortir !

— Que voulez-vous dire ? demanda Mme de Pontailly d’un air hautain.

— Je veux dire, reprit froidement le vieillard, que l’arrivée de votre nièce vous a causé, passez-moi l’expression, un des plus diaboliques retours de jeunesse auxquels soit exposé une femme. En la voyant si jeune et si belle, vous vous êtes crue obligée d’amour-propre à redevenir, je ne dirai point belle, vous l’êtes toujours, mais jeune, et c’est plus difficile. Au lieu de voir dans Henriette une enfant confiée à votre affection, vous y avez découvert une rivale dont il fallait triompher à tout prix, et vous n’avez pas reculé devant l’idée d’une lutte, une lutte avec votre nièce, qui pourrait être votre fille !

— C’est une plaisanterie, interrompit la marquise sans pouvoir se défendre de rougir.

— Une fort belle occasion s’est présentée d’essayer le pouvoir de vos séductions, reprit le vieillard imperturbablement ; un bon et agréable jeune homme aimait votre nièce : c’est moi qu’il aimera, vous êtes-vous dit, et alors il sera bien certain que je suis la plus belle ; en sa faveur donc vous avez rouvert l’arsenal de votre coquetterie. Henriette vous gênait ; faible obstacle ! vous avez persuadé à votre frère de mettre sa fille en pension, en sorte que vous voilà maîtresse du terrain. Me permettrez-vous, madame, de vous demander maintenant jusqu’où vous avez l’intention de mener ce nouveau chapitre d’un roman que je croyais terminé ?

L’ancien hussard de Berchiny avait si résolument conduit son attaque, que la marquise, hors de garde, perdit son assurance habituelle et demeura un instant tout interdite. Ce qui la déconcertait