Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
439
UN HOMME SÉRIEUX.

— Mon emprisonnement n’est rien, répondit Dornier, dont la physionomie annonçait une préoccupation sérieuse, mais voici quelque chose qui mérite, je crois, de fixer votre attention.

Le journaliste raconta comment il avait trouvé Moréal seul avec Mlle Henriette, et quelle outrageante réception il avait supportée de la part de la jeune fille. De ce récit artificieusement combiné, il semblait résulter que M. de Pontailly protégeait ouvertement les espérances du vicomte, que la marquise elle-même les favorisait, sinon d’une manière formelle, du moins par une tolérance tacite, qu’en un mot M. Chevassu rencontrait dans sa propre famille l’opposition la plus déclarée. Ainsi que l’avait prévu l’adroit narrateur, à la seule idée de ses projets contrariés et de son autorité méconnue, le député montra une magnifique indignation.

— Pour quel Géronte me prend-on ? s’écria-t-il ; M. le marquis se figure peut-être que j’ai besoin de son bon plaisir pour marier ma fille ; il verra qu’il se trompe. Quant à ma sœur, qui à tout propos m’accuse de négligence et de faiblesse, je lui montrerai que j’ai autant de vigilance que de fermeté ; je ne laisserai pas chez elle Henriette vingt-quatre heures de plus.

— Ce serait peut-être une mesure de haute prudence, reprit Dornier.

— Il ne manque pas de pensions à Paris, et là du moins mes intentions seront respectées.

— Mais ne craignez-vous pas que Mme la marquise ne se trouve offensée ? dit le journaliste, qui savait bien que cette aristocratique dénomination irriterait encore la mauvaise humeur de l’orgueilleux bourgeois.

— Que Mme la marquise se trouve offensée ou non, peu m’importe ! répondit aigrement M. Chevassu ; ne dirait-on pas que je suis sous sa tutelle ? Je ferai voir à tout ce monde-là que je suis le maître chez moi. Mais parlons d’autre chose, car ces impertinences nobiliaires m’échauffent la bile.

— Avez-vous avancé vos affaires depuis que j’ai été privé du plaisir de vous voir ? demanda Dornier, qui avait obtenu ce qu’il désirait.

— Oui et non, répondit le député ; j’ai eu deux conférences avec ces messieurs, qui, entre nous, me paraissent un peu plus épris de leur mérite que disposés à rendre justice au talent d’autrui. Cependant il y a parmi eux quatre ou cinq hommes avec qui, je crois, il me sera facile de m’entendre ; ils prennent le thé ici ce soir. Vous serez des nôtres ?