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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

marchait, à se faire attribuer un état de fortune bien supérieur à la réalité, et à conquérir un crédit mal justifié par ses moyens. Si ses affaires tournent mal, tout le monde l’ignorant jusqu’à la catastrophe, il aura pu, avant de succomber, user tous les ressorts de son crédit, et porter l’état de ses dettes beaucoup plus haut que sa fortune réelle. Au jour de son désastre, que trouvera-t-on ? Un passif bien plus fort qu’on ne le supposait, et un actif bien moindre ! Ce n’est pas tout : cette même obscurité qui l’aura si bien servi précédemment quand il voulait agrandir outre mesure sa position et son crédit, lui fournira maintenant les moyens de dissimuler une partie de sa fortune aux poursuites de ses créanciers. Elle s’était enflée, cette fortune, tant qu’il s’agissait d’inspirer la confiance ; elle se dérobera maintenant, elle s’effacera, elle se fera petite, sans que ni les précautions légales, ni l’active vigilance des créanciers puissent l’atteindre dans les sombres détours où elle se cache, et les tiers seront doublement trompés. Que l’on examine si les pratiques de ce genre sont aussi faciles dans le cas de la société anonyme. Elles sont encore possibles, qui en doute ? et comment pourrait-on espérer ou prétendre qu’il en fût autrement ? mais on conviendra que, par la nature même de la société, par son organisation, par la publicité nécessaire qui environne ses actes, l’abus est de toutes parts circonscrit.

À tous égards donc, la société anonyme offre aux tiers qui traitent avec elle des garanties incomparablement plus fortes que nulle maison particulière ou nulle autre espèce de société. Une seule chose peut être objectée contre elle avec raison, c’est que, le sort de ceux qui la dirigent n’étant pas nécessairement lié au succès de ses opérations, ils ont moins d’intérêt à user de circonspection et de prudence pour éviter les chutes. C’est là un vice inhérent à la constitution même de ces sociétés, et que nous avons déjà pris soin de signaler en calculant les avantages de l’association en général. Toutefois cette considération regarde moins les créanciers que les actionnaires. C’est à ces derniers qu’il appartient de la faire entrer en balance avec les chances favorables que l’association peut leur offrir. Que si les directeurs ou gérans ont moins d’intérêt à éviter les désastres, parce qu’ils n’y sont pas directement compromis, ils ont moins d’intérêt aussi à pousser les choses à l’extrême quand l’établissement menace ruine, à le soutenir jusqu’au bout par des expédiens désastreux, et, dans le cas de faillite consommée, à diminuer, par des pratiques frauduleuses, la part des créanciers.

Tout ce que nous venons de dire, en nous fondant sur le seul raisonnement, est d’ailleurs largement confirmé par l’expérience. Les faillites des grandes sociétés ont été rarement fatales aux tiers qui avaient traité avec elles. Au reste, cette observation ne s’applique pas seulement aux sociétés anonymes, mais en général à toutes les sociétés par actions, et même à ces commandites bâtardes, si mal conçues, si mal réglées, dont nous parlions tout à l’heure. C’est que, par la nature même des choses, une société, surtout quand elle est constituée en grand, offre aux tiers plus de garanties que les maisons particulières, quoique assurément la société anonyme l’emporte à cet égard sur toutes les