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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

droit, et on serait mal venu à s’en autoriser pour justifier les réserves de la loi. Voyons pourtant si la mise en pratique de cette règle de droit est sujette aux inconvéniens que l’on redoute.

La société anonyme n’offre aux tiers qui traitent avec elle qu’une garantie de capitaux ; rien de plus vrai. Mais quoi ! est-il dans le commerce une seule maison, soit particulière, soit sociale, qui offre à ses créanciers autre chose qu’une garantie de capitaux ? On insiste et l’on dit : les membres de la société en nom collectif sont personnellement et solidairement responsables, les gérans des sociétés en commandite le sont aussi, et la même responsabilité pèse sur tout commerçant qui agit dans son intérêt privé ; la société anonyme seule échappe à cette règle générale. Voilà le grand argument ; mais on s’abuse étrangement sur la valeur aussi bien que sur le sens de cette responsabilité, et on ne s’aperçoit pas que l’on se paie ici d’un vain mot. Qu’est-ce que le créancier demande à son débiteur ? rien que le paiement de ce qui lui est dû, c’est-à-dire qu’il en veut au capital de ce débiteur et nullement à sa personne. Quand il traite avec lui, s’il considère à certains égards son crédit, sa capacité, sa moralité et toutes ses autres qualités personnelles, c’est seulement en tant que ces qualités représentent à ses yeux des facultés réelles, et au fond c’est toujours le capital seul qu’il a en vue. Quant à la personne, il n’a rien à y prétendre. Que si la loi lui accorde, en cas de non paiement, le droit d’exercer des poursuites contre la personne, ce n’est pas assurément qu’elle veuille lui attribuer, comme compensation de la perte de son capital, un droit de propriété sur cette personne, et qu’elle lui permette de se payer en nature à défaut d’argent. Non, la loi n’a pas même voulu réserver au créancier le triste plaisir de retenir en prison un débiteur insolvable. À quoi tend donc l’action personnelle qu’elle lui accorde ? Elle n’a pas d’autre objet que de lui faire atteindre le capital lorsqu’il se dissimule ou qu’il se cache. C’est afin de forcer un débiteur récalcitrant ou de mauvaise foi dans ses derniers retranchemens, de l’empêcher de soustraire une partie de sa fortune à ses créanciers, de le contraindre enfin à faire usage de toutes ses ressources pour acquitter ses dettes, que la loi a créé l’action personnelle, qui va jusqu’à la contrainte par corps. Voilà tout, et cette responsabilité que l’on fait sonner si haut ne comporte rien de plus. Eh bien ! à ce compte, la responsabilité personnelle se retrouve dans la société anonyme comme partout ailleurs, et elle y est même plus grave ; car, si le commerçant, par exemple, est passible de la contrainte par corps lorsqu’il dérobe une partie de son avoir à ses créanciers, des peines bien plus fortes atteindraient le directeur d’une société anonyme qui aurait soustrait aux créanciers une partie du capital social. Le premier ne serait considéré peut-être que comme un débiteur récalcitrant pour lequel on trouve encore, après tout, quelque indulgence ; le second serait traité avec raison comme un voleur ou un escroc.

Laissons de côté toute prévention, sachons nous soustraire à la puissance des mots, examinons les choses d’un esprit dégagé et comparons exactement les situations diverses ; voici ce que nous trouverons : tout établissement