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bilité est tout au moins égale des deux côtés, et, à le bien prendre, elle est même plus grande du côté de la société anonyme. Il est vrai que l’émission des actions une fois faite selon les règles, des manœuvres peuvent être employées pour leur donner sur la place une valeur factice ; l’agiotage peut s’en mêler, et c’est là un abus fort difficile à atteindre. Quelle est donc la marchandise qui ne puisse donner lieu à cet abus aussi bien que les actions des sociétés anonymes ? L’agiotage est une lèpre qui s’attache à toutes les valeurs commerciales, mais principalement à celles qui viennent de naître, et dont le cours n’est pas encore bien établi ; voilà pourquoi il s’empare ordinairement des actions des sociétés au moment de leur émission. Mais ce n’est pas là un mal particulier à ces sortes de valeurs ; c’est un mal général, et, si l’on veut étouffer ou proscrire tout ce qui peut y donner sujet, on proscrira bien des choses, à commencer par les titres de rentes sur l’état. Au surplus, l’autorisation préalable est un fort singulier remède contre un semblable mal, et l’on ne voit guère en quel sens elle pourrait contribuer à le guérir.

Si les motifs qui ont séduit les auteurs du code sont peu sérieux, ceux qu’on allègue aujourd’hui dans le même sens n’ont pas une valeur plus grande.

C’est, dit-on, l’intérêt des tiers qu’il faut envisager. La société anonyme n’offrant pas à ceux qui traitent avec elle la garantie d’une responsabilité personnelle, il est convenable et juste que la loi leur procure une garantie d’une autre sorte, en astreignant cette société à l’obligation d’une autorisation préalable. Il n’y a pas autre chose dans tout cela qu’une confusion d’idées et un abus de mots.

Remarquons d’abord que l’absence de responsabilité personnelle, qui est un des caractères de la société anonyme, n’est pas, quoi qu’en aient dit quelques écrivains, une faveur de la loi, mais une conséquence fort naturelle de l’organisation de cette société, et une juste application des vrais principes. La société anonyme est un être composé, qui ne se personnifie en aucun homme, et qui est représenté vis-à-vis des tiers par des mandataires élus. Que ces mandataires soient exempts de toute responsabilité personnelle à l’égard des tiers, en ce sens du moins qu’on ne puisse les contraindre à payer avec leurs propres deniers les dettes contractées de bonne foi pour le compte de la société, ce n’est là qu’une simple application des principes élémentaires du droit civil, en ce qui concerne le mandat. Quant aux porteurs d’actions, à quel titre seraient-ils responsables ? Ils ont promis de payer le montant de leurs actions ; rien de plus : s’ils l’ont fait, leurs engagemens sont remplis ; de quel droit leur demanderait-on davantage ? Les créanciers sont-ils fondés à se plaindre de ce que la personne des associés leur échappe ? Mais ils n’ont pas traité avec eux, ni en considération de leurs personnes. Ils ont traité avec cet être collectif qu’on appelle la société ; c’est donc contre lui seul qu’ils ont des droits à exercer, et, pourvu que la loi leur donne action contre lui, ils n’ont rien de plus à prétendre. Dans ce cas donc, l’irresponsabilité des sociétaires dérive de la nature des choses ; elle n’est qu’une juste application du