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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

semblables, sauf la condition de la solidarité, qui n’a pas d’effet quant à présent ? De telles associations sont fort communes en Angleterre ; car, si la responsabilité éventuelle qui menace les bailleurs de fonds est à certains égards un obstacle, à d’autres égards la facilité des contrats, facilité qui s’accorde si bien avec les habitudes du commerce, est un puissant encouragement à les former. Les simples bailleurs de fonds s’appellent en Angleterre associés dormans (sleeping partners), terme pour le moins aussi expressif que celui de commanditaire, et qui a l’avantage d’être clair pour tout le monde, tandis que celui-ci n’a d’autre sens dans notre langue que celui que la loi lui prête.

Pour fonder une société anonyme, le procédé est aussi simple. Un certain nombre de négocians ou de capitalistes se rapprochent, se concertent et s’entendent, pour concourir à l’exécution d’une entreprise. Ils contribuent, chacun selon ses convenances ou ses moyens, à créer un capital social. Puis ce capital constitué, et c’est là ce qui caractérise vraiment la société anonyme, on en confie l’administration à des mandataires élus, et la société, au lieu de porter le nom de ses gérans, est désignée par l’objet de l’entreprise. Il arrive presque toujours en Angleterre que les gérans ou directeurs de ces sociétés, ainsi que la plupart des fonctionnaires, sont choisis parmi les actionnaires, et même parmi les plus forts intéressés ; mais cette préférence n’a rien d’obligatoire : elle est inspirée à la masse par le désir bien naturel de se donner une garantie de plus d’une bonne gestion. En général, les mandataires élus sont révocables, quoiqu’il arrive souvent aussi que, la société une fois constituée, la masse perde son droit d’élection, que tout le pouvoir se concentre dans le corps des fonctionnaires, et que ce corps se renouvelle lui-même. Mais ici encore, ce n’est pas la loi qui limite les pouvoirs de la masse, c’est l’acte social, lequel tient lieu de loi pour tous les contractans. Que manque-t-il à des sociétés ainsi faites pour se placer au même rang que nos sociétés anonymes ? Elles sont connues en Angleterre sous le nom de joint stock companies, qui peut se traduire par celui de sociétés à fonds réunis, et ce nom même en dit assez. Il conviendrait fort bien à nos sociétés anonymes, qui ne sont vraiment que des associations de capitaux ; il conviendrait même aux sociétés incorporées de l’Angleterre, si ces dernières ne devaient tirer leur nom du caractère semi-politique que la loi leur attribue. C’est que les sociétés anonymes, les sociétés incorporées, et les joint stock companies, avec quelques priviléges de plus ou de moins, ne sont en effet qu’une même forme de l’association, tant il est vrai que la condition de la solidarité n’altère pas nécessairement la nature des combinaisons sociales.

On voit donc que, sous l’empire de sa législation actuelle, l’Angleterre pratique, avec une facilité inconnue parmi nous, toutes les formes possibles de l’association. Sans compter les sociétés incorporées, plus nombreuses et généralement plus puissantes que nos sociétés anonymes[1], elle trouve

  1. Le nombre des sociétés incorporées, instituées dans la seule vue des travaux d’utilité publique, était, au commencement de 1836, de 83 pour la navigation des