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collectif, et qu’elle est particulièrement exclusive de la forme commanditaire. C’est un préjugé du sol, dont le plus simple raisonnement fera justice, et que l’exemple de l’Angleterre doit achever de dissiper.

La condition de la responsabilité indéfinie imposée à tous les membres d’une société n’a d’effet qu’à l’égard des tiers, et ne peut être invoquée que par eux. Encore les tiers même ne peuvent-ils s’en prévaloir que dans un seul cas, celui d’une dissolution de la société par suite d’insolvabilité et de ruine : jusque-là, c’est la société elle-même qui répond de ses engagemens à la décharge de ses membres. Cette condition éventuelle ne saurait donc empêcher les associés de faire entre eux telle condition qu’il leur plaît : de limiter la mise de chacun, ainsi que sa participation aux bénéfices ; d’exclure le plus grand nombre de toute intervention directe dans la gestion des affaires communes, en confiant à un, deux, trois, d’entre eux, la direction exclusive et le dépôt de la signature sociale ; d’abandonner même cette gestion à des mandataires élus par la masse, associés ou non associés ; en un mot, de donner à l’association telle forme extérieure qu’il leur convient de choisir. Que le principe de la solidarité soit un jour invoqué par les tiers, si la société vient par malheur à faillir, à la bonne heure ; mais, en attendant, elle peut toujours se constituer de la manière qui s’accorde le mieux avec les vues ou les intérêts de tous.

Ajoutons à cela que l’accident d’une faillite peut être jusqu’à un certain point conjuré par les conventions des parties. Il suffit, pour cela, de stipuler que la société se dissoudra et se liquidera avant que son passif absorbe son actif. Ce n’est pas que cette précaution soit toujours infaillible ; mais il est incontestable qu’avec un peu d’attention on peut en assurer l’effet dans le plus grand nombre des cas. À l’aide d’une semblable clause fort en usage en Angleterre, le principe de la solidarité est en quelque sorte neutralisé, la responsabilité des associés est mise à couvert, et dès-lors on ne voit plus à quelle forme une telle association ne pourrait prétendre, ni quelle sorte de combinaison lui serait interdite.

Rien de plus facile d’abord que de former sous l’empire de cette loi une société commanditaire. Ainsi, un homme placé à la tête d’une entreprise commerciale, qu’il veut étendre par l’accession de capitaux étrangers, s’adresse à des capitalistes ou bien à d’autres commerçans, et les engage à prendre un intérêt dans son exploitation. S’il leur proposait d’entrer avec lui dans une intime communauté d’affaires, de lui prêter leur crédit et leur nom, de concourir activement à la direction de l’entreprise, ce serait une société en nom collectif qu’il fonderait ; mais non : tout ce qu’il leur demande, c’est de mettre à sa disposition un capital déterminé, en retour de quoi il les fera jouir d’une part proportionnelle des bénéfices. Lui seul demeurera chargé de la gestion, lui seul sera connu des créanciers et du public : les autres ne seront, dans l’acception commerciale du mot, que les bailleurs de fonds. Peut-on voir autre chose en cela qu’une véritable commandite ? N’est-ce pas la même manière de procéder ? Les positions ne sont-elles pas