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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

nul ne soit tenu au-delà de ses engagemens. Quand la loi française a déclaré que, dans le cas de la société en commandite, par exemple, le commanditaire ne serait engagé que jusqu’à concurrence de sa mise convenue, elle n’a pas créé, quoi qu’on en dise, une exception favorable ; elle n’a fait qu’une juste application des principes. Que fait le commanditaire ? Il promet le versement d’une certaine somme dans la société ; mais il ne s’engage, ni moralement, ni matériellement, à rien de plus : à quel titre le fera-t-on contribuer au delà de cet apport ? On peut dire de lui que, sa participation dans les bénéfices étant limitée, sa contribution dans les pertes doit l’être aussi, et ce raisonnement est juste ; mais il y a une raison plus décisive ; c’est qu’il n’a rien promis que son apport, et que les tiers n’ont aucun titre, aucun droit, pour exiger de lui rien au-delà de ses promesses. Encore si, tout en limitant sa mise, il avait apporté son nom dans la société, s’il s’était mêlé activement de la gestion des affaires, s’il avait administré, les tiers pourraient alléguer du moins que c’est sur l’autorité de son nom qu’ils ont traité avec la société, que sa fortune et son crédit ont provoqué leur confiance : on pourrait concevoir alors qu’ils prétendissent exercer leur recours sur lui ; c’est ainsi que dans le système français la responsabilité indéfinie est encourue par le commanditaire qui administre. Mais, quand il s’est tenu en dehors de la gestion, que son crédit n’a pas été mis en jeu, ni son nom prononcé, exiger de lui plus que sa mise, et surtout le charger d’une responsabilité indéfinie, c’est une révoltante iniquité. Rendons justice à la loi française, elle l’emporte ici de beaucoup sur celle des Anglais. En général, tel est le mérite de notre législation, que les principes de l’équité et du droit y sont mieux observés que partout ailleurs. Elle serait la première législation du monde, si les attributs de l’autorité publique y étaient aussi bien limités et définis que les droits des particuliers, si elle était mieux ordonnée pour la pratique des affaires, si enfin l’abus de la forme n’y venait trop souvent étouffer le droit.

Tel est, dans ses parties essentielles, le système de la loi anglaise : on peut le résumer ainsi. L’association est un contrat libre de sa nature ; c’est aux parties intéressées qu’il appartient d’en régler entre elles les conditions ; la loi n’intervenant que dans le cas de fraude et de lésion, ou pour protéger la morale et l’ordre public. Point de forme prévue ni prescrite, point d’entraves, quant à la division du capital ; point de limites quant au nombre des associés. La loi se borne à réserver les droits des tiers : elle les établit suivant un principe rigoureux, absolu, souvent injuste ; mais cette rigueur est adoucie dans la pratique, en ce qu’elle n’est accompagnée d’aucune de ces mesures préventives qu’on a jugé nécessaires en France pour en assurer l’effet. C’est aux tiers à faire valoir leurs droits par les moyens ordinaires, la loi ne leur interdisant d’ailleurs l’emploi d’aucune preuve morale ni matérielle. Reste à voir quels sont les résultats de ce système dans l’application.

On croit assez généralement en France que la condition de la solidarité ou de la responsabilité indéfinie de tous les membres ne permet que la formation d’une seule espèce de société, celle que le code appelle société en nom