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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

terminées. Il n’a pas cette sorte de prévoyance qui fait tracer le cercle où l’industrie particulière devra se mouvoir, qui règle tous ses pas avec mesure et pose irrévocablement la borne où elle s’arrêtera. Quelles que soient ses imperfections, et elle en a beaucoup, la loi anglaise est sage en cela qu’elle laisse quelque chose à faire au génie de l’homme. Elle respecte trop d’ailleurs la liberté naturelle des conventions pour intervenir si directement entre des contractans et leur dicter d’avance les conditions et la formule du contrat. Aussi ne trouverait-on nulle part dans la loi anglaise qu’elle reconnaît telle espèce de société ou telle forme de l’association plutôt que telle autre : elle les reconnaît toutes et n’en prévoit aucune, disposée qu’elle est à accepter toutes les combinaisons qu’il plaira au génie industriel d’enfanter, pourvu qu’elles n’aient rien de contraire à l’ordre et qu’elles ne soient pas en elles-mêmes destructives des droits des tiers.

Il est pourtant vrai que les sociétés anglaises se partagent en deux classes profondément distinctes, les sociétés ordinaires et les sociétés incorporées ; mais cette distinction a un tout autre sens que celui que nous lui attribuons en jugeant par analogie avec le système français. Ce ne sont plus ici des formes particulières de l’association, car la société ordinaire n’a pas de forme invariable ; ce sont des institutions d’un ordre différent. Ce qui établit entre elles une distinction fondamentale, c’est que les unes, les sociétés ordinaires, sont régies par la loi commerciale ou civile et tombent dans le domaine du droit privé, tandis que les autres ne relèvent que de l’autorité souveraine dont elles émanent, et se placent dans la sphère élevée du droit public.

En France, où le sol a été en quelque sorte nivelé par la révolution, où toutes les traces des institutions anciennes sont effacées, il n’y a plus guère qu’une seule loi, un seul droit : c’est la loi commune et le droit commun. Le droit public a disparu avec les institutions publiques. Ce mot même de droit public n’aurait plus de sens ni de valeur pour nous, si un droit public nouveau ne s’était formé dans la sphère constitutionnelle. Désormais c’est là seulement qu’on le retrouve. En Angleterre, au contraire, où un grand nombre d’institutions, débris des ages précédens, se sont perpétuées jusqu’à nos jours, on connaît encore un droit public fort complexe, qui n’est pas renfermé dans la sphère constitutionnelle, mais s’étend à toutes ces institutions de second ordre répandues sur la surface du sol. Il comprend en général tout ce qui a un caractère ou une valeur politique, tout ce qui échappe au droit commun, tout ce qui ne tombe pas sous le coup immédiat de la loi civile, depuis le roi et le parlement jusqu’aux corporations municipales et aux marguilliers des paroisses. C’est à lui que se rapportent même presque tous les priviléges ; car les priviléges ne sont pas toujours, en Angleterre comme en France, de simples exceptions au droit commun, elles y revêtent ordinairement le caractère d’institutions, et se rattachent par là à l’ensemble des faits que le droit public embrasse. C’est dans ce même ordre de faits que rentrent les sociétés incorporées. On comprend dès-lors qu’elles sont moins des sociétés commerciales que des institutions publiques.