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tion étrangère sous l’influence des préjugés de son pays, on y saisit au hasard quelques dispositions saillantes dont on a vu chez soi les analogues, et rajustant, coordonnant ou développant ces données incomplètes suivant des systèmes préconçus, on en forme un ensemble tout imaginaire, sur lequel on se règle aveuglément. Des comparaisons ainsi faites égarent plutôt qu’elles n’éclairent : loin d’ébranler les principes faux qui se sont introduits dans les lois, elles ne tendent qu’à les raffermir par l’autorité de l’exemple ; quelquefois même elles obscurcissent ou défigurent jusqu’aux notions justes qui avaient prévalu d’abord. Tel a été, selon nous, le résultat des rapprochemens faits en divers temps entre les législations de la France et de l’Angleterre sur les sociétés commerciales.

Jugeant le système anglais avec les idées françaises, on se l’est représenté, à l’aide de quelques indications vagues et générales, comme une sorte de contre-partie du nôtre, où seraient reproduites les formes de sociétés que nous connaissons, moins la commandite : d’où l’on a conclu, assez logiquement d’ailleurs, que si l’on supprimait en France la commandite, on ne ferait qu’égaliser les choses entre les deux pays et ramener les deux systèmes à des termes identiques. Et en effet, c’est en se fondant sur une semblable hypothèse qu’en 1838 un ministre français, proposant aux chambres l’abolition complète des commandites par actions, a pu prétendre que l’adoption d’une telle mesure laisserait encore la France mieux partagée qu’aucun autre pays voisin, que l’Angleterre elle-même, puisqu’il lui resterait toutes les formes de sociétés admises dans ce pays, plus la commandite ordinaire, qu’il n’admet pas. Étrange erreur, que le plus simple examen des faits les plus vulgaires, les mieux connus, aurait suffi pour dissiper.

Supprimez en France la commandite par actions, que restera-t-il de l’association en grand ? Rien, qu’un petit nombre de sociétés anonymes dont la propagation est nécessairement bornée, comme on l’a vu, par les conditions rigoureuses de leur formation. Avec la commandite périt tout l’espoir des grandes entreprises, car elle seule parmi nous joint à l’avantage d’une formation libre celui de pouvoir s’étendre sur une large échelle. Au contraire, dans l’état actuel de sa législation, l’Angleterre possède, et tout le monde le sait, outre les sociétés incorporées que l’on peut comparer, si l’on veut, à nos sociétés anonymes, un nombre prodigieux de compagnies par actions, aussi imposantes par le nombre de leurs membres que par l’importance de leurs capitaux, et qui ne relèvent en rien de l’autorité publique. En présence de ces faits, si bien connus, l’hypothèse admise tombe d’elle-même. Un examen plus attentif montrera jusqu’à quel point on s’était abusé.

C’est bien vainement qu’on chercherait dans la législation anglaise quelque chose qui ressemble à notre division des sociétés en trois espèces. Il faut se persuader que c’est là une conception toute française dont l’Angleterre n’a pas d’idée. En général, il n’entre pas dans la pensée du législateur anglais de ramener les transactions particulières à des classifications systématiques, encore moins de les soumettre d’avance à des formules invariablement dé-