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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

commerciale. Pourquoi la loi s’opposait-elle à l’établissement pur et simple de la société anonyme ? Sans cela, pense-t-on que les actionnaires eussent été assez dépourvus de sens pour abdiquer tout pouvoir et se priver de toute garantie, quand il leur eût été si facile de se réserver l’un et l’autre ? Les gérans eux-mêmes, fondateurs ou non, eussent-ils bien osé leur proposer une telle abdication ? C’est donc à la loi et non aux hommes qu’il faut s’en prendre. Mais cette déviation des vrais principes n’en était pas moins par elle-même un abus grave, qui devait être encore par occasion le germe de beaucoup d’autres.

Supposons, et les cas n’en sont heureusement pas rares, une entière bonne foi dans les actionnaires et les gérans ; alors même l’adoption contre nature de la forme commanditaire entraîne des inconvéniens de plus d’un genre.

Il peut arriver d’abord que l’homme choisi pour gérant, quoique irréprochable dans ses actes, soit incapable relativement aux opérations dont on le charge ; car dans une entreprise naissante, et souvent d’un genre nouveau, comment s’assurer de l’infaillibilité d’un premier choix ? N’y eût-il pas d’erreur, ce serait encore un mal que les intéressés fussent privés de leur droit de contrôle et d’élection. Il n’est guère d’homme si probe et si capable qui n’ait encore besoin d’être surveillé et tenu en haleine quand il gère les intérêts des autres ; car la probité elle-même se relâche, et l’homme capable, que nul aiguillon ne presse, oublie souvent de mettre en œuvre ses moyens. Dans les sociétés anonymes, les directeurs, dominés par l’autorité suprême du corps des actionnaires, sont contenus par elle : leurs actes sont soumis à une surveillance active, et la crainte toujours présente d’une destitution possible est cet aiguillon nécessaire. Quoi de semblable dans les sociétés en commandite ? On peut bien y exercer aussi une surveillance nominale et instituer bruyamment des conseils à cet effet : c’est même ce qui se pratique dans la plupart des cas ; mais où est l’autorité de ces conseils ? À moins qu’il ne se commette dans la gestion des actes vraiment coupables et justiciables des tribunaux, circonstance que nous n’admettons pas ici, ils n’ont rien qu’un droit stérile de remontrance : toute leur bonne volonté échoue contre le pouvoir illimité et irrévocable du gérant. Qu’est-ce qu’une surveillance ainsi dépourvue de sanction ?

On comprend bien qu’il n’en serait pas ainsi dans les commandites formées suivant les vrais principes, puisqu’au fond ce qui en fait le caractère propre, c’est d’abord que le chef y ait une capacité toute spéciale ou dès long-temps éprouvée, et, en second lieu, que l’entreprise lui appartienne et qu’il y soit toujours le premier et le plus fort intéressé. De cette situation naissent des garanties naturelles qui peuvent dispenser des autres. Mais, dans ces commandites bâtardes, comme nous en avons vu s’établir un si grand nombre dans ces dernières années, une gestion négligée ou malhabile est un accident ordinaire et presque fatal.

Cependant, par une autre conséquence du même fait, cette gestion mauvaise sera toujours plus chèrement rétribuée, il n’est guère possible en effet